Pratiquement un an après son arrivée à Chesnut Ridge, Aliénor avait l'impression de vivre un rêve éveillé. Elle aimait Jay et Jay l'aimait. Et, bientôt, ils se marieraient. Ils s'étaient fiancés en toute intimité, sans en référer à qui que ce soit. Après tout, quelle importance ? Personne ne s'intéressait à eux. Enfin, non, tout à fait. Agathe Petitpas, elle, les trouvait important. 

Mais, actuellement, Agathe avait autre chose à faire que de s'occuper de leur histoire d'amour puisqu'elle avait une petite vie qui grandissait en elle. Aliénor avait été étonnée de prime abord de cette grossesse. Car Agathe ne lui avait jamais parlé d'un fiancé ou même d'un petit ami. Mais ensuite, elle s'était réjouie pour elle car Agathe semblait ravie de ce qui lui arrivait. Et, en passant sa main sur le ventre rebondi de la jeune femme, Aliénor espérait un jour avoir aussi cette chance-là avec Jay. 

En attendant, elle avait du pain sur la planche et ses petits moutons attendaient qu'elle s'occupe d'eux. Elle adorait ses bêtes, même leurs humeurs pas toujours très agréables. Et puis leur laine était si douce, c'était un vrai plaisir pour elle de la tricoter et d'avoir la satisfaction d'un joli pull bien chaud. 

Tout cela ne dura pas. Car bientôt, Don Gooseman vint lui rendre visite. Et ce ne fut pas une visite de courtoisie, loin de là... 

La discussion fut brutale, désagréable et ne laissa guère d'échappatoire à Aliénor. Au début, elle ne voulut pas se laisser faire, ni écouter quoi que ce soit. "Partir" ? Comment, cela partir ? Bien sûr que non, elle ne partirait pas. Sa vie était ici. Sa future famille était ici. Son avenir était auprès de Jay Sarren. 

Alors, Don employa la manière forte. C'était facile car il était bien plus vigoureux qu'elle. 

Quand il partit, il laissa une Aliénor ébranlée et physiquement abimée. Et c'est à ce moment-là que le téléphone sonna. C'était Jay qui lui indiquait qu'il devait s'absenter un petit moment de Chestnut Ridge pour un travail important à Henford-on-Bagley. Il était désolée de la laisser ainsi alors que leur mariage approchait à grand pas. Mais il reviendrait bien vite. 

La jeune femme ne lui parla pas de ce qui venait de se passer. Elle ne voulait pas l'inquiéter et elle savait que son travail comptait beaucoup pour lui. Et puis surtout, elle pensait qu'il n'y aurait pas d'autres visites de Gooseman maintenant qu'il avait transmis, rudement, son message. 

Elle se trompait. 

Quelques temps plus tard elle fut réveillée en pleine nuit par un bruit bizarre. Elle se leva et découvrit la cuisine en feu. 

Rien ne put être sauvé, sauf sa propre vie. Ce fut Agathe qui la découvrit au petit matin, quelque peu hagarde, en chemise de nuit, devant sa cabane en piteuse état. 

L'héritière Petitpas ne pouvait évidemment pas la laisser dans cette détresse et elle décida de l'héberger chez elle, le temps qu'elle puisse se ressaisir. Aliénor accepta avec gratitude. 

La jeune femme dut quand même faire le sacrifice de ses longs cheveux, qui avaient quelque peu souffert de l'incendie. 

Mais malgré ces nombreux coups du sorts, qui étaient tous liés à de la malveillance, elle s'estimait très chanceuse. Elle avait une amie très chère qui l'hébergeait chez elle, elle avait donc un toit au dessus de sa tête, de quoi manger, c'était déjà bien suffisant. Et puis, elle pouvait elle-même avoir une utilité en aidant Agathe à s'occuper d'Emilie, son adorable petit bébé. 

La seule ombre au tableau pour Aliénor était l'absence de nouvelles de son amoureux. Depuis son dernier appel où il l'informait de son départ à Henford-on-Bagley, la jeune femme n'avait pas eu d'autres nouvelles de sa part. Elle espérait que tout allait bien pour lui et qu'il ne rencontrait pas trop de difficultés dans son travail. Elle était confiante, il l'aimait. Elle attendrait patiemment. 

Mais il était dit que les ennuis n'étaient pas finis pour Aliénor Ravenovitch. Le coup de grâce vint un après-midi, alors qu'Agathe était partie inspecter les vignes avoisinantes et que le majordome prenait sa journée de congés. Une dame blonde vint à demander à parler à la jeune femme. Il s'agissait de Nancy Plénozas. 

Puisque la manière forte n'était pas arrivée à la délogée de Chesnut Ridge et du coeur de Jay, ils allaient maintenant tenter la manière douce. Ou plutôt le chantage aux sentiments. 

Car si Aliénor était plutôt résistante à tout ce qui l'attaquait matériellement ou physiquement, une certaine endurance dûe à son passé d'orpheline, elle avait beaucoup plus de mal dès qu'il s'agissait du domaine émotionnel. Et Nancy sut toucher le point sensible, là où elle était la plus fragile. 

"Bien évidemment qu'elle voulait le meilleur pour Jay, qu'il soit heureux et qu'il réussisse dans sa vie professionnelle. Mais, il ne pouvait pas s'occuper de tout cela si elle était à ses côtés. Il méritait d'avoir une personne de son milieu. Elle, elle ne pouvait être qu'un poids pour lui. Si elle l'aimait, elle devrait s'effacer pour lui souhaiter le meilleur, n'est-ce pas ? "

Et c'est qu'Aliénor fit... Elle prit la route qui menait à l'extérieur de Chestnut Ridge et disparut... 

A suivre...