• Je fus prête à partir une semaine plus tard. Le plus dur fut de quitter Rowan. 

    En cinq ans, nous avions eu le temps de bien nous connaître et de nous apprécier. Avec elle, j’oubliais souvent mon caractère ombrageux et mélancolique pour m’adonner avec elle à ses fantaisies et ses pitreries. Car malgré ses dehors gothiques, la demoiselle avait un solide humour et une « gouaille » sans pareille.

     En route !

    Enfin, ce n’est pas comme si les moyens de communication manquaient de nos jours. Et six mois, cela serait vite passé.

     Après mûres réflexions, j’avais décidé de prendre le train pour rejoindre Newborn. J’aurai pu prendre l’avion, mais c’était bien trop rapide à mon goût. J’avais besoin de me poser un peu et de réfléchir avant de retrouver la ville de mon enfance et ma famille.

    D’après mes calculs, je devrai passer pratiquement toute la nuit de vendredi et la journée de samedi dans le train et arriver à Newborn dans la soirée. Cela ne me ferait donc que la soirée de samedi et la journée de dimanche avec ma famille. J’avais ensuite loué une petite maison pour la durée de mission.

     Maman avait bien essayé de me faire changer d’avis au téléphone. Mais j’avais résisté à sa supplique. Il était hors de question que j’habite chez eux. J’avais besoin de mon indépendance.

     Je regardai le paysage un instant par la fenêtre, mais c’était toujours le désert. Et cela serait encore pour un petit moment. Je poussais un soupir. Pourquoi est-ce que je n’arrivais pas à m’entendre avec ma propre famille ?

     En route !

    Même si pour être honnête, je m’entendais quand même assez bien avec mon frère, mais lui n’avait pas du tout d’attente envers moi. J’étais sa petite sœur. Point. Cela s’arrêtait là (et si en plus je pouvais l’aider dans ses problèmes de géométrie, cela était encore plus cool…).

     En route !

    Etait-ce la faute de ma précocité ? Une incapacité de mes parents à me comprendre vraiment ? C’était peut-être un peu des deux.

    Mes parents n’avaient jamais été des intellectuels. Mais, ce n’était pas non plus des abrutis. Très franchement, je n’étais pas du tout l’enfant qu’ils voulaient. Trop intelligente, trop effacée, pas assez active… Etant petite, j’essayai d’être la meilleure en cours pour qu’ils soient fiers de moi. Mais cela n’avait jamais marché. Ah, si j’avais été bonne en sport, évidemment… 

    En route !

    Et, si la relation avec mes parents n’avaient jamais été satisfaisante, que dire de celles des autres ? …. Toujours, toujours, j’avais été mise à l’écart…

     En route !

    J’arrêtai de regarder par la fenêtre. De toute façon, le paysage était toujours aussi déprimant… Comme mes pensées. Je n’étais même pas rendue à Newborn, que déjà mes pensées dépressives revenaient. Allons, Aliénor, il était temps de se ressaisir. 

    Pour passer le temps et histoire de comprendre un peu ce qui m’attendait au niveau du taff, je pris le rapport des incidents qu’on m’avait remis à mon départ. Qui sait, j’aurai peut-être trouvé une solution aux problèmes avant mon arrivée.

     

    En route !

    Mais deux heures plus tard, je relevais la tête du rapport, aussi peu avancée qu’au début. Mon domaine, mon dada, c’était l’architecture réseau, autant dans l’informatique que dans les télécommunications. Apparemment, l’incident à Newborn avait trait à l’intranet de l’entreprise. Mais ce que je trouvais sur ce rapport me semblait n’avoir guère de sens… Bon…

     Je sortis ma tablette de mon sac et regardait si Rowan était encore connectée à son bureau. Bingo ! Elle avait décidé de faire des heures supp’. Cela m’arrangeait.

     

    En route !

    - Coucou, toi ! C?est la petite rousse casse-pied de service ! J

    - Tiens donc ! On s'ennuie déjà ? Je t''avais dit que tu devais prendre l?avion.

    - Ce n'est pas ça… Je suis en train de lire le rapport sur les incidents à Newborn et je n'y comprends goutte !

    - … Ma cocotte, tu sais que tu aurais pu faire autre chose de ton temps dans le train ? Lire un bon bouquin (Dracula, bien sûr)… ou dragouiller, tiens. Y  a pas un mec potable dans ton wagon ?

    - Hé! Je ne suis pas en manque à ce point. Et puis j'aime bien savoir où je mets les pieds au niveau boulot. Bon, sinon, «le barbu » est toujours à son poste?

    - ha non, tu viens de le rater de peu. Il avait rencard ce soir.

    - Non, sérieux?!!! … bon, ben je n'ai pas de chance aujourd'hui. Tant pis, cela attendra lundi à mon arrivée dans la boite.

    - Et moi, je ne peux pas t'aider ?

    En route !

    - une aberration sur un lien en réseau intranet, cela te dit?

    - Non…. Bon, alors prête à retrouver sa famille?

    - Bof !... Je vais faire le minimum syndical, pour faire plaisir à Maman…. Mais, pourvu, pourvu qu'ils ne me parlent pas de sport…

    - Pourtant, tu en aurais bien besoin…. Lol

    - Ha non ! Pas de remarques de ta part. J'ai subi des remarques pendant 15 ans de la part de ma propre famille, ce n'est pas pour que tu t'y mettes aussi. Je revendique le droit d'avoir du gras au bide !!!

    - ha, ha, tu me feras toujours rire, Allie. Bon. Je vais te laisser, car j?ai un rapport à terminer pour M-Coincé. Je pense que je vais devoir revenir samedi …

    - Pas de chance, ma belle. Allez, moi, je vais roupiller un peu. Bisous.

     En route !

    Et c’est ce que je fis. Je dormis ainsi toute la nuit de vendredi à samedi (dans une cabine pour moi toute seule, ce qui était assez rare pour le noter). Puis, j’ai passé mon temps à lire ou à surfer sur Internet. Je consultais également ma messagerie personnelle et je vis que j’avais encore trois messages de l’Organisation Mensa. Je les effaçais aussitôt avec brusquerie et agacement. Je n’avais aucunement envie de faire partie de leur coterie. Mon atypisme et moi, on préférait rester seuls, merci. Bien sûr, j’aurai pu m’intégrer dans leur club de Haut Potentiel afin de pouvoir discuter avec d’autres personnes aussi doués que moi. Mais, jusqu’à présent, à part Emma, je n’avais vraiment recherché d’autres personnes avec la même particularité que moi.

     En route !

    J’avais toujours apprécié ma solitude, que ce soit dans l’enfance ou l’adolescence. Même si pour autant, je n’étais pas spécialement associale, loin s’en faut, mais bon, les groupes et les gens avec leurs conversations basiques m’ennuyaient rapidement. 

    Il n’y a qu’avec Rowan ou avec Nathanaël, dit « le Barbu », et Sergio,  mes collègues de travail et maintenant amis, que je m’entendais bien. D'ailleurs, même en dehors du travail, nous étions tous le temps ensemble.

     En route !

    Et, bien sûr, j’avais des relations charnelles. Et, je les prenais pour ce qu’elles étaient. Juste des relations charnelles. J’adorais toucher l’autre, sentir son odeur, son contact, éprouver du plaisir .

    Mais cela s’arrêtait là. Je n’étais jamais tombée amoureuse… enfin, sauf en primaire, mais cela ne comptait guère. L’amour. Cela ne me manquait pas. La plupart des hommes me semblaient si prévisibles et si faciles à appréhender que cela m’ennuyait. 

    Et puis, pour tout dire, je n’avais pas trop envie que l’on m’approche, ni que l’on vienne empiéter mon espace vital. Ou alors, comme me serinait toujours Rowan, c’est que je n’étais pas encore tombée sur l’homme qui me convenait….  Mmouais… Les contes de fées, il y a longtemps que je n’y crois plus.

     La journée de samedi passa rapidement. En fin d’après-midi, le train s’arrêta enfin en gare de Newborn et je descendis avec mon petit bagage. J’avais décidé de voyager léger. Si j’avais besoin de quelque chose, je l’achèterai sur place.

    Le trajet jusqu’à la maison familiale ne me prit guère de temps, celle-ci se trouvant dans les faubourgs de la ville. La maison n’avait pas tellement changé. Le tapis de course était évidemment toujours à côté de l’entrée. Mais, il y avait maintenant aussi tout un tas de plantations. Celles-ci n’y étaient pas lorsque j’étais partie. Qui s’était mis au jardinage ?

    En route !

     

    Je soufflais un grand coup et frappait à la porte…

     


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  • Cette journée finissait mal : je venais d'être convoquée dans le bureau du chef de service juste avant de partir et il m'avait annoncé LA nouvelle. Cela ne pouvait pas tomber au plus mauvais moment, évidemment. J’avais des projets pourtant : un voyage avec Rowan, prendre des cours de yoga... Bref, tout cela devait être reporté à une date ultérieure.

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     Alors, le repas ce soir-là avec Rowan fut un peu morose et silencieux. Mais connaissant ma colocataire et amie, ce silence ne pouvait guère durer.

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     - Eh bien alors ma cocotte, c'est quoi cette mine d'enterrement ?

    - Bah... j'ai été convoqué en fin d'après-midi dans le bureau par M-je-suis-coincé.

    - ..... Oui ? Et ?.... Ne me dis pas qu'il t'a remonté les bretelles ? Cela m'étonnerait quand même de toi...

    - Non... Il m'a annoncé que j'étais mutée.

    - Mutée ? Oh, c'est une bonne nouvelle, ça. Dans quel service ? Celui que tu voulais, Recherche et Développement ?

    - Pas du tout ! J'aurais mieux aimé. Mais non. Je suis mutée en dehors de San José, pour une mission temporaire. A la maison-mère. A Newborn.

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    - Ah...

    - Comme tu dis, ah ! Punaise, Newborn... Je ne pensais pas y retourner de sitôt.

    - Bon, ce n'est pas si catastrophique que ça. En même temps, Allie, tu savais bien que tu devais y retourner un jour. Après tout, ta famille vis là-bas. Combien de temps dois-tu rester ?

    - C’est une mission de 6 mois, normalement, mais cela sera peut-être plus… Apparemment, il y a des dysfonctionnements au niveau du réseau interne. Le technicien n’a pas été très clair à ce sujet. Je verrai sur place.

    - Bon. Tout ce que je comprends, c’est que notre voyage en Europe doit être reporté !

    - Oui. J’en suis désolée. Tu ne pourras pas te recueillir sur la tombe de Bram Stoker, ton idole…

     Je savais que je la taquinais en disant cela. Rowan était une fan absolue du roman de l’auteur, « Dracula » et de tout ce qui touchait à la période gothique. Même ses habits reflétaient sa passion. Ce qui la rendait parfois intimidante. Mais pour moi, cela ne changeait rien. Je l’avais toujours connue ainsi. Rowan restait Rowan.

     J’étais quand même bien chagrinée, car ce voyage en Europe, nous en rêvions toutes les deux. : à la fois pour les endroits historiques et le dépaysement que cela allait nous procurer. Et puis pour la bouffe ! (nous rêvions depuis des semaines de manger un plat de charcuterie française).

     - Ce n’est pas grave. Nous le ferons à ton retour. Par contre, ma cocotte, il faudra quand même que tu m’expliques un jour pourquoi tu ne veux pas revenir dans la ville de ton enfance. Tu as subi des trucs pas nets ?

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    - Houlà ! Arrête tout de suite le délire, Rowan ! Ne va pas t’imager abus en tout genre ou enfance du genre « Cosette ». C’est bien plus banal que ça et cela s’apparente plus à une incompréhension de part et d’autres et à un refus de faire des efforts.

    Rowan me regarda d’un air dubitatif, mais je n’avais pas l’intention d’en dire plus à ce sujet.

    Mais, une fois le repas terminé et de retour dans ma chambre, je repensais à Newborn, ma ville natale.

     Je n’avais pas été tout à fait honnête avec Rowan, mais me souvenir de cette époque était douloureux pour moi. Je n’avais pas été battu, ni abusée, mais les relations avec ma propre famille et autres connaissances avaient été difficiles. Ce n’est jamais simple d’être différent et encore plus quand on est une enfant précoce.

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     J’avais été contente lorsque, à la fin de mon adolescence, Louis Sarren m’avait proposé de venir travailler ici, à San José, dans une filiale de « Silicon Intelligence ».

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    C’est là que j’avais rencontré ma colocataire actuelle, Rowan Kelly, et découvert que l’on pouvait être différente et pour autant s’intégrer dans une équipe, avoir une vie sociale… Bon, pour être tout à fait honnête, l’équipe avec laquelle je travaillais était assez farfelue et spéciale. On pouvait même dire que nous n’étions pas des citoyens « lambda »...

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     Je laissais mon regard errer dans la chambre, et puis je m’arrêtais sur la statue représentant un petit cheval en bois. Un cadeau de papa. J’eu une moue crispée.

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     Je savais bien évidemment, qu’en revenant à Newborn, je serai obligée de revenir les voir. Jusqu’à présent, j’avais fait le minimum : mail et appel téléphoniques de temps à autre. Mais maintenant, je devrai bien évidemment les voir. Je poussais déjà un soupir d’agacement. Cela m’étonnerait qu’en cinq ans, ils aient changé de comportement.

     Et puis, il y aurait les autres : Jonathan…Raphaël… Emma… Ho, Emma, qu’étais-tu devenue ?

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     Je me secouais et pris mon téléphone. Allons, il n’était plus temps de tergiverser.

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     - Allô, Maman ? C’est Aliénor….

     


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