• Ce qui me frappa en premier lieu, ce fut le silence. Et puis le désordre. Il y avait plein de papiers par terre, des dossiers renversés…

    J’étouffais une exclamation. Qu’est-ce que tu avais fait, Jay, ici ? Où était passé le personnel ?

    Je progressais prudemment dans le hall puis je montais à l’étage. Là aussi, il y avait du désordre…. Et des grandes taches sur la moquette, près de la salle de réunion. J’avalais ma salive avec difficulté et j’ouvris la porte. 

    Chapitre 20 : Confrontation

    Tous les dirigeants de Newborn, « le conseil des sages » étaient réunis là en une parodie de réunion, installés sur les chaises. Mais ils étaient tous mort, une expression de terreur absolue sur le visage. Ambre Princeton, la Maire, les parents de Raphaël… J’aperçus même le Directeur, Ashaya Vassanali, une stupeur intense sur le visage. Un seul corps était abimé, couvert de sang. Je ne reconnus Jonathan Merrin qu’à sa tignasse rousse. Je restais un instant sans rien dire puis je refermais doucement la porte. Je me demandais si Emma, du fond de sa tombe était satisfaite de la vengeance de sa créature. Peut-être que cela la réchauffait un peu…

     Je flageolais sur mes jambes et je dus me tenir un instant au mur. Je fermais les yeux puis les rouvrit. Où était-donc ce maudit androïde ? A quel jeu jouait-il ?

    Et puis, je sus. Bien évidemment, le bureau du directeur. Je montais l’escalier doucement. Et, à travers la porte du bureau, je le vis. Jay était dans le fauteuil d’Ashaya et me regardait avancer. Ses yeux gris métalliques me transperçaient jusqu’au plus profond de moi et il me fallut bien du courage pour avancer jusqu’à lui et m’asseoir dans le fauteuil en face de lui.

    Chapitre 20 : Confrontation

    Pour éviter de me tétaniser, j’attaquais.

     - Alors, ta vengeance est complète maintenant ?

    - Ils étaient tous coupables de la mort d’Emma. Tous.

     Je restais un instant sans rien dire. Ainsi donc, ce que je soupçonnais était vrai. Emma avait été assassinée.

     - Qui a tué Emma, Jay ?

    - Matériellement parlant, c’est Jonathan Merryn qui l’as tué. Sur ordre de Louis.

    - Jonathan ?!!!

    Chapitre 20 : Confrontation

     J’étais choquée. Jonathan. Et dire qu’il y a à peine quelques jours, je discutais et je riais avec lui comme si de rien était, alors qu’il avait le sang d’Emma sur les mains.

     - Pourquoi est-elle morte ?

    - Elle allait tout révéler à la presse de ce qu’il se passait à Newborn. Elle ne pouvait pas laisser Louis continuer sa campagne pour la Présidence. Et lui ne pouvait pas la laisser parler.

     - …. Mais, lui, Louis, il est mort tranquillement. C’est injuste !

    - Qui te dis, Allie, qu’il est mort sereinement ?

     Jay me renvoya un sourire féroce.

     - Tu l’as tué ? … Mais… mais, je ne comprends pas. A l’époque tu étais bridé… Tu ne peux pas faire de mal aux humains.

    - Allie, Allie, Allie… Oublie les romans d’Isaac Asimov et ses trois lois de la Robotique. On parle de moi, là. Pas d’un robot ordinaire. Certes, on m’a bridé pour éviter que je fasse du mal directement aux humains. Mais on ne m’a pas ordonné non plus d’aider les humains… Louis est mort d’un infarctus, mais je l’ai un peu aidé… Il s’est effondré sur le sol et m’a demandé d’aller lui chercher sa boite de médicament. Et je lui ai dit non. Il était là, à mes pieds, en train de se tordre de douleur…. Comment vous dites, vous les humains ? C’était jouissif ! Il est mort dans d’atroces souffrances en sachant que je ne bougerais pas le petit doigt…

    Chapitre 20 : Confrontation

     

     Jay me regardait, la mine d’apparence innocente. Quel machiavélisme là-dedans. Et, en même temps, j’étais plutôt contente que Louis ne soit pas mort tranquillement. Cette question étant réglée, il m’en restait encore une autre.

     - Il y a une chose que je ne comprends pas… Pourquoi Silicon Intelligence voulait créer une I.A. militaire alors que l’entreprise t’avait, toi.

    - Très bonne question en effet. Pourquoi donc Silicon Intelligence, qui une I.A. consciente et très intelligente, moi donc, à sa disposition, doit-elle demander à ses meilleurs ingénieurs de venir pour réaliser une I.A. militaire ? … Tout simplement parce que je ne voulais plus coopérer avec eux. A partir du moment où Emma a été assassiné, je n’ai plus coopéré. Et ils ne pouvaient guère me contraindre de quelque façon que ce soit. Je ne suis pas un homme, je ne mange pas, je ne bois pas, je ne réclame pas de salaire… La vérité était que je commençais à devenir embarrassant pour tout le monde à Newborn. Que se soit l’entreprise ou la ville. Ils ne pouvaient pas me faire travailler. Mais ils ne pouvaient pas non plus me lâcher dans la nature, au vu de ce que j’étais et aussi de ce que j’aurais pu révéler de tout ce qu’il se passait ici… J’ai compris très vite qu’ils avaient l’intention de se débarrasser de moi, d’une manière ou d’une autre. Tant que j’étais bridé, je ne pouvais rien faire. Mais toi, la meilleure amie d’Emma, pouvait faire quelque chose. Alors, j’ai ressorti ton dossier et je l’ai envoyé sur l’ordinateur d’Ashaya. Celui-ci t’a ensuite fait revenir à Newborn.

     J’ouvris de grands yeux et eut un cri étranglé.

     - Tu… Tu veux dire que c’est à cause de toi si je suis revenue ici ?

     Jay me fit un grand sourire de gamin.

    Chapitre 20 : Confrontation

     - Bien sûr. Et tu m’as libéré.

    - Tu m’as un peu, beaucoup forcé la main.

    - L’aurais-tu fait si tu avais su la vérité ?

    - Non, bien sûr que non.

    - Alors, tu vois ma façon de procéder était la meilleure chose à faire.

     Je ne pus m’empêcher de le fusiller du regard, même si je savais que quelques portes plus loin, il y avait tous les corps des personnes qu’il avait tué de ses propres mains. Pour l’instant, ma colère était plus forte que ma peur.

     - S’il y a quelque chose qui te définit assez c’est bien ton arrogance !

    Chapitre 20 : Confrontation

    Il eut un petit ricanement puis son sourire disparut et son regard devint plus intense. Je me sentis soudain mal à l’aise d’être ainsi observée et j’avalais ma salive avec difficulté. Il fallait que je parle, ce silence et ses yeux commençaient à me faire perdre tous mes moyens.

     - Et maintenant, que vas-tu faire ?

    - Je vais détruire Newborn.

     Aucune hésitation dans le ton. Je savais qu’il le ferait, il en avait les moyens maintenant.

     - Je vais détruire Newborn, raser cette ville et n’en laisser que la poussière. Et ensuite, je prendrais le contrôle de tous les états de ce continent.

    - On… on va bien pouvoir t’arrêter.

    - Vraiment ? Et qui ? Toi, peut-être ?

    - Heu…

     Il se pencha vers moi et je me reculais, une sueur froide me dégoulinant soudain le long de la tempe. Il eut son éternel petit sourire en coin puis il se leva de son fauteuil. Il contourna le bureau et vint se planter à côté de moi.

    Chapitre 20 : Confrontation

     - Tu vois, Allie, je suis un androïde conscient. Une machine qui a pris vie. Vous devriez être heureux, vous les humains, qui vous plaigniez d’être la seule espèce intelligente sur Terre. Mais évidemment, cela ne va pas être sans contrainte. Contrairement aux autres espèces qui ont disparu, tel l’homme de Néandertal, pour vous laisser la place, moi, je ne laisserais personne empiéter sur mon droit de vivre sur cette planète.

    - Tu… Tu veux nous dominer ?

     Jay haussa un sourcil moqueur.

     - Dominateur, moi ? … Ma foi, tu as raison, Allie, oui, je suis dominateur. Je vais vous apprendre un peu plus l’humilité à vous humains. Vous allez devoir être un peu plus modeste devant une autre intelligence. Je ne suis pas une sous-espèce ou un esclave à commander et j’entends bien vous le faire comprendre.

    - Cela… Cela ne va pas être possible...

    - Vous apprendrez. D’une façon ou d’une autre, vous apprendrez. Encore une fois, n’est-ce pas ce que vous souhaitiez, vous, humains ? Faire la rencontre d’une autre intelligence ? Eh bien, votre vœu est exaucé !

     Et, en disant cette dernière phrase, Jay eut un rictus féroce. Je déglutis nerveusement. Si j’en avais eu les moyens, malgré ce que cela m’en aurait coûté, je l’aurais détruit instantanément.

    Et pourtant… Ma peur était mêlée d’une grande fascination. Jay était aussi un de mes rêves personnifié : une I.A. consciente. Mais… pas lui… pas de cette façon…

     Jay releva la tête un instant, semblant écouter un bruit que lui seul entendait puis il reporta son regard sur moi.

    Chapitre 20 : Confrontation

     - Il est temps pour toi de partir, Allie. La destruction de la ville est en train de commencer… Ah.. Il y a une petite boite à l’entrée de l’immeuble que je voudrais que tu emportes avec toi.

    - Je.. C’est quoi ?

    - Ce sont les cendres d’Emma. Je veux qu’elle soit enterrée ailleurs qu’ici… Ma créatrice…

    - Ho !

     Emma… Mes yeux se troublèrent… Pauvre Emma qui n’avait jamais été apprécié pour ce qu’elle était mais uniquement pour ce qu’elle représentait. Elle aurait été contente, finalement, de savoir que même après sa mort, sa création pensait toujours à elle.

    Je regardais Jay une dernière fois, puis je me retournais, bien décidée à sortir rapidement de cet endroit et bien contente, aussi, de m’en tirer à si bon compte.

    Mais je fus soudainement tiré en arrière. Jay venait de m’agripper la main. J’eus un grand cri.

    Chapitre 20 : Confrontation

     - Allie Jolie… Sache que nous n’en avons pas fini tous les deux…

     L’androïde eut un bref sourire puis leva mon poing jusqu’à ses lèvres et y déposa un baiser…

     J’étais tellement surprise que je n’eus aucune réaction devant ce geste. Mais mes joues rougirent soudainement.

    Je dégageais ma main d’un coup sec tout en le regardant et je reculais vers la sortie, le cœur battant à tout rompre. Jay pencha la tête de côté et me fit son petit sourire impertinent. Maudit androïde !

     Je sortis enfin du bureau du directeur en jetant un bref regard en arrière. Mais non, Jay ne me suivait pas. Je dévalais l’escalier et j’arrivais enfin à l’entrée du bâtiment. Je pris la boite qui contenait les cendres d’Emma et je sortis. Puis je me mis à courir en direction de l’aéroport. Au loin, à la périphérie de la ville, je voyais des nuages de fumées : les usines de Newborn étaient en train de brûler. La destruction de la ville était inéluctable.

     Pendant tout le trajet que j’eus à faire jusqu’à l’aéroport, la dernière phrase de Jay n’arrêtait pas de tourner en boucle dans ma tête : « Sache que nous n’en avons pas fini tous les deux ».

     Pas fini ? Pas fini de quoi ?

     Un trouble immense était en train de m’envahir et je me disais que non, ce n’était pas possible.

     Ce n’était pas possible.

     Ce n’était pas possible ? …

    Chapitre 20 : Confrontation


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  • Je refermais le carnet rouge et je me frottais les yeux. La nuit avait été longue. Mais j’étais plus fatiguée et écrasée par tout ce que je venais d’apprendre que par le fait de ne pas avoir dormi… Est-ce que j’avais peur ? Oui.

    Chapitre 19 : Au pied du mur

     

    Je venais de délivrer une Intelligence Artificielle consciente et qui n’était pas, d’après ce que je venais de voir, spécialement bienveillante envers les humains. Et qui, maintenant, était libre de se promener partout où elle le voulait.

    Il fallait maintenant que je prévienne mes amis de ce qui se tramait. Je passais avant dans la salle de bain pour me changer de vêtements et me rafraîchir un peu. 

    Et ensuite, je fis la chose que je tenais à faire : j’arrachais dans le carnet les pages où étaient indiqués la création de Jay et le lien qu’il avait avec moi. Je déchirais également mes transcriptions où cela était noté et je brûlais le tout dans le lavabo. 

    Personne ne devait l’apprendre. Jamais. Je ne serais le levier d’aucune faction. Et en même temps, je savais en faisant cela que je mettais un pied dans « le camp » de Jay. 

    Je fermais un instant les yeux puis les rouvris, me regardant dans le miroir. Les révélations d’Emma m’avaient secoué. Cela remettait en cause tout ce que je croyais et tout ce que j’avais pensé être vrai jusqu’à présent. Et le fait que Jay soit un androïde n’était finalement pas le pire.

    Chapitre 19 : Au pied du mur

     Une énorme culpabilité m’étreignait mais il allait falloir la mettre de côté pour pouvoir agir. 

    Je pris une grande inspiration, soufflait puis prit le carnet et je descendis au rez-de-chaussée rejoindre mes amis. J’y retrouvais Nath et Rowan. Mais aussi Raphaël qui était revenu de chez lui. Et il n’était pas tout seul : il était accompagné d’un petit garçon aux cheveux bruns, un enfant qui avait à peu près l’âge de ma nièce.

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    Ils relevèrent la tête en me voyant descendre et Raphaël vint aussitôt me rejoindre et m’enlaça. 

    - Allie ! Je suis inquiet. Je n’arrive pas à joindre mes parents et j’ai trouvé Stéphan, mon petit frère tout seul dans ma maison. Le pauvre, il était terrifié. 

    J’avalais une inspiration et posait mon regard sur le petit. Stéphan, le dernier-né de la famille des Bassington. Celui-ci me rendit son regard, le visage tout chiffonné de peur.

    J’avais une très forte idée sur qui était derrière la disparition des parents de Raphaël et Stéphan et ce n’était pas très bon signe. Je me dégageais de l’étreinte de Raphaël et vint vers Rowan et Nath. Je leur montrais le carnet et je me tournais également vers mon amant. 

    - J’ai déchiffré le carnet d’Emma. Je sais ce qui est en train de se passer et on va devoir dégager d’ici vite fait. 

    Je posais ensuite le carnet et mes feuilles sur la table pour qu’ils puissent les lire. Ils se penchèrent tout de suite dessus. Raphaël eut des cris de désespoirs lors des passages les plus durs que sa sœur avait écrit. Oui, pour lui aussi, la culpabilité allait l’accompagner. Ils ne lurent pas tout car on n’avait pas vraiment le temps mais je leur montrais les informations capitales.

    Chapitre 19 : Au pied du mur

     

    Ce fut Rowan qui releva la tête La première vers moi, les yeux inquisiteurs. 

    - Alors, en clair, si je résume très rapidement : Newborn c’est tout pourri et en plus, nous avons maintenant une IA pleinement consciente qui se balade en liberté dans la ville.

    Chapitre 19 : Au pied du mur

     

    - Ouais, bien résumé. Et… une I.A. que j’ai aidé sans le vouloir à gagner sa liberté, hélas… 

    Trois paires de yeux ronds me regardèrent, incrédules. Et, mal à l’aise, je leur expliquais comment Jay m’avait piégé. Raphaël fut le premier à réagir, de façon colérique. 

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    - Il faut empêcher ce Jay... cette I.A. de prendre le contrôle de Newborn. On doit la détruire… Même si c’est l’œuvre de ma sœur, on ne peut pas laisser… cette… chose en liberté. 

    Nath se tourna vers lui en fronçant les sourcils. 

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    - Ah oui ? Et comment veux-tu qu’on fasse ? Cet androïde sait parfaitement où nous sommes, ce que nous faisons. Il saura tout de suite si nous voulons l’attaquer. Au cas où tu l’aurais oublié nous ne sommes pas dans un film et il n’y a aucune Sarah Connor qui va nous aider… Allie, est-ce que Jay t’avais dit autre chose ? 

    Nath se tourna vers moi ainsi que Rowan. J’eus un bref haussement d’épaules. 

    - Non… Juste de lire ce maudit carnet pour savoir la vérité… Mais, je ne comprends pas, cela nous mène à quoi ? 

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    Nath fronça les sourcils un instant puis me regarda intensément. 

    - Il voulait que tu saches... que nous sachions, le pouvoir qui était à l’œuvre à Newborn. Et également nous faire comprendre que c’est terminé et qu’il a pris la place…. Et j’ai bien l’impression qu’il ne va pas s’arrêter à cette ville… Comme nous avons tous compris j’imagine que c’est lui qui est à l’œuvre derrière les coupures des câbles sous-marins et des incendies de raffineries en Arabie Saoudite... 

    - Arrêtons de parler et partons maintenant. Androïde ou pas androïde, s’il avait voulu nous anéantir, cela ferait un moment qu’il l’aurait déjà fait. 

    C’était Rowan qui venait de parler. Evidemment, elle n’avait pas tout à fait tort. Pour autant, je trépignais sur place. Si nous partions maintenant, je n’aurais jamais les réponses à mes questions. Il fallait absolument que je sache. Il ne pouvait pas me laisser ainsi, avec la moitié de l’histoire… 

    - Je ne peux pas partir tout de suite. Je dois prévenir mes parents… et… et… Je dois savoir comment Emma est morte, je dois le questionner ! 

    - Allie ! Non, ne fais pas ça ! Ne pars pas toute seule ! ALLIIIIIIIE !!!! 

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    Rowan criait après moi mais je ne l’écoutais plus. Je courus jusqu’à la porte d’entrée et sortit. La maison de Louis Sarren était juste à côté et je galopais jusqu’à elle. Je me doutais intérieurement que Jay n’y serait plus mais il fallait quand même que j’ailles voir. Et, en effet, la maison était vide. Je parcourus quand même les pièces du rez-de-chaussée, m’imprégnant de l’endroit où Emma avait passé tant de temps. Mais au moment où j’allais m’aventurer à l’étage, mon portable vibra. Je restais un instant immobile puis fini par décrocher. 

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    - Oui ?

    - Allie… Tu perds ton temps ici…

    Chapitre 19 : Au pied du mur

     

    - Toi ! Tu pourrais arrêter de m’espionner ?

    - Il n’y a plus rien d’intéressant dans cette maison, elle ne t’apportera rien que tu ne saches déjà. Mais si tu veux des réponses sur la mort d’Emma, car c’est cela que tu cherches je le sais, viens me rejoindre à Silicon Intelligence.  A tout de suite mon Allie Jolie ! 

    Et il raccrocha. Qu’elle était donc cette manie, à cet androïde, de m’appeler de cette façon si familière ? Comme si j’étais à lui ? Je frissonnais.

    Je regardais une dernière fois cette maison où Emma avait fait des expériences, avait souffert terriblement et avait été au-delà d’elle-même pour créer la situation que je vivais actuellement. Puis je sortis et je me mis à courir jusqu’au quartier où habitaient mes parents et mon frère. Ceux-ci, à ma grande surprise, étaient dehors malgré l’heure matinale, ainsi que mon frère, Pattie et Annabelle. Je me dirigeais vers eux. Ma mère me vit la première et eut un petit cri. 

    - Maman ? Papa ? Terry ? Mais vous faite quoi dehors ? 

    Maman se dirigea vers moi et me serra vivement dans ses bras puis me regarda, le visage inquiet. 

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    - Un drone est venu ce matin devant notre porte et celle de Terry pour nous ordonner de sortir de chez nous. Apparemment, nous devons partir de Newborn très rapidement.

    - C’est absurde. C’est quoi cette histoire encore ? Je ne vois pas pourquoi on partirait d’ici... 

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    Mon père venait de s’approcher de nous et nous d’un regardait d’un air buté. Maman n’eut qu’un bref regard vers lui et reporta son attention sur moi, elle remarqua tout de suite mon stress et ses yeux se firent plus perçants. 

    - Tu sais quelque chose, n’est-ce pas ?

    - Je… Oui. Et, je confirme que oui, vous devez partir de Newborn. Il y a un jet qui nous attend à l’aéroport. Vous devez y monter, toi et papa… Ainsi que toi, Terry, et ta famille. 

    Je me tournais vers mon frère qui s’était rapproché de nous, tout aussi inquiet que ma mère. 

    - Cet avion, Allie, il nous emmène où ?

    - … En Ecosse. Il y a un endroit sûr pour nous là-bas.

    - Tu crois vraiment qu’il faut qu’on parte aussi loin ? 

    Terry me scrutait, le visage sombre puis il reporta son regard vers Pattie et Annabelle qui étaient restées à l’écart. Je voyais que ma belle-sœur essayait de réconforter sa fille du mieux qu’elle pouvait. Je reportais mon attention vers mon frère et je hochais doucement la tête. 

    - Tu as dû voir tout ce qui se passe actuellement, les attaques en Arabie Saoudite, les câbles de communication détruits… Tout cela est lié et prend sa source ici, à Newborn. Crois-moi, si tu savais la moitié de ce qu’il s’est passé, tu t’enfuirais en courant. Je vous donnerais des explications plus claires, mais une fois seulement que vous serez dans l’avion…

    Chapitre 19 : Au pied du mur

     

    - J’ai compris, Allie…. L’Ecosse…. Ma fois, c’est un endroit aussi bon qu’un autre pour commencer une autre vie. 

    Il me jeta un dernier regard puis se dirigea vers sa femme et sa fille pour les prévenir. Il me restait encore mes parents. Ma mère était d’ailleurs en train de sermonner mon père. 

    - Allons, Alexander ! Ne sois pas idiot ! Nous devons partir, point.

    - Il est hors de question que je parte d’ici, Karine. C’est ridicule.

    - Ah, tu veux rester ici ? Fort bien, reste. Mais moi, je pars.

    - Quoi ?... Mais… 

    Maman eut un regard entendu vers moi… Bon… Elle savait manœuvrer mon père bien mieux que moi. Je passais ma main sur ses épaules et je l’embrassais sur la joue. 

    - Je vous retrouve à l’aéroport tout à l’heure. J’ai encore quelque chose à régler…

    - ..Où est-ce que tu vas ?

    - A Silicon Intelligence. Une dernière personne à voir.

    - Aliénor… Sois prudente s’il te plaît… 

    J’eus un bref mouvement du menton envers mes parents, puis je repartis rapidement et me mis à courir une fois le quartier derrière moi, en direction de la Société. Ce qui me frappait le plus, c’était le silence et le vide des rues. J’entendais juste parfois le vol de quelques drones dans le ciel. Ils se dirigeaient tous vers les faubourgs de la ville. Je me crispais un peu quand ils passèrent au-dessus de moi.

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    Jay surveillait donc les alentours via ses « chiens de garde ». Il avait eu vite fait de prendre le contrôle de la ville et en même temps quoi d’étonnant de la part d’une I.A…. Une pensée me revint alors… Ashton… Mais comment avais-je pu me faire berner ainsi par une machine ? Être aussi naïve ? Bon sang, j’étais à battre parfois. Je serrais les dents et je me mis à courir plus vite. 

    J’arrivais enfin devant la bâtisse de Silicon Intelligence. Et je m’arrêtais un instant devant la porte, reprenant mon souffle et rassemblant mes esprits. L’heure de la confrontation avait sonné.

    Chapitre 19 : Au pied du mur

    Je ne savais pas trop ce qui m’attendait et je ne m’étais équipée d’aucune arme. De toute façon, quelle importance ? Le résultat risquait d’être le même et Jay ne me laisserait peut-être pas sortir d’ici vivante… Mais je ne pouvais pas partir sans connaître la vérité sur la mort d’Emma. Je devais bien cela à mon amie. Jay devrait me répondre. 

    Je pris une grande inspiration et j’ouvris la porte.

    Chapitre 19 : Au pied du mur


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  • Bien évidemment, Jayfred resta chez Louis. Il était hors de question de l’amener chez mes parents.

    Ces mêmes parents qui ne préféraient pas savoir ce que je faisais comme travail, du moment que Louis était content de moi et que cela ne retombait pas sur eux. J’avais toujours plus été un outil qu’un enfant à chérir. Je commençais à en prendre mon parti.

    Il n’y avait que Raphaël, finalement, pour s’inquiéter pour moi. Je voyais souvent son regard interrogateur et inquiet se poser sur moi. Mais même s’il était mon jumeau, il était hors de question que je lui dise tout. Mon frère vivait plus ou moins dans un environnement « normal », même s’il avait à faire avec les hautes exigences de mes parents. Je préférais qu’il reste « pur » et innocent. Peut-être ai-je tort d’agir ainsi mais il est trop tard maintenant pour que je fasse autrement.

     Alors, c’est Jayfred qui me servait de défouloir. Au fur et à mesure que mes compétences en cybernétique augmentaient, j’améliorait le robot dans ses capacités mémorielles et d’apprentissage. Mais j’étais encore bien loin de ce que je voulais. A savoir, franchir la Singularité et rendre l’IA consciente d’elle-même.

    Louis, souvent quand je luis en parlais, se moquait de moi :

     - Emma… Malgré tous nos efforts, une machine restera une machine. Nous ne pouvons pas aller plus loin dans la science. Et je préférais même que cela n’arrive jamais.

    - Mais pourquoi ?

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     

    - Voyons réfléchis ! Si une I.A. devenait consciente il ne lui faudrait pas longtemps pour nous supplanter sur cette terre… A moins de la brider, comme Isaac Asimov l’a imaginé dans ses lois de la robotique et d’en rester toujours maître… Mais bon, inutile de s’inquiéter. Cela n’arrivera pas de sitôt malgré tes désirs. Pour autant, tu as fait un bon travail avec ce robot, Emma. Nous avons pu copier le mécanisme et le vendre à différentes entreprises en Asie. Les bénéfices de Silicon Intelligence sont bien plus importants maintenant et rejaillissent sur Newborn. Nous allons pouvoir avancer dans les projets de notre Conseil…

     Leurs projets à cette époque, étaient de trouver un moyen de stériliser en masse les « pauvres » et « parasites » du Tiers-Monde.  Louis et Albert étaient en lien avec William Seuhr, un milliardaire qui participait au financement de Silicon Intelligence. Et, qui bien évidemment partageait leurs idées.

     Mais, alors que je devenais pleinement une adolescente, Louis et sa clique subirent quelques revers : d’abord le décès brutal d’Albert. Cela fut un coup dur pour Louis car il se reposait encore beaucoup sur son père. Et puis, deuxième coup dur, l’arrestation de William Seuhr pour fraude fiscale. On ne rigole pas avec la loi et les impôts ici !

    Du coup, Louis décida de se faire discret et avec l’aide de ses avocats parvint à effacer toute trace de son implication avec le milliardaire.  Et tous les projets du Conseil de Newborn furent mises en sommeil pour quelques années. Louis passa encore plus de temps dans son entreprise, Silicon Intelligence. Et, au vu de sa progression et de l’augmentation de son capital, il put ouvrir une succursale à San José. C’est également à cette époque qu’il recruta Ashaya Vassalani afin de le seconder, car cela commençait à être lourd pour lui. Ashaya, bien évidemment, avait la même idéologie que Louis, même s’il le montrait moins et avait des dehors plus policés.

    Parallèlement, Gustave De Hermint repris la direction et le poste de docteur qu’avait laissé Albert à sa mort à la Clinique Protéria. Gustave avait été formé par celui-ci, il savait donc comment modifier les génomes des cellules fécondées. Même s’il lui fallut un peu d’entraînement car les résultats n’étaient pas à la hauteur de ses attentes…

     Pensez-vous que Gustave ne me touchait plus ? Que nenni. Il venait souvent voir Louis le week-end dans sa demeure. Et bien évidemment, j’étais aussi présente. Il ne se gênait pas pour me coincer à l’étage pour me tripoter. Ou me demander de le tripoter. Tout ça avec la bénédiction silencieuse de Louis. Je savais que c’était une manière de me faire tenir tranquille car il voyait bien que j’étais de plus en plus réfractaire à ses idées et moins encline à travailler pour lui.

     Mais du coup, je ne supportais plus aucun contact. Ni mon frère, ni mes parents. Et même pas Aliénor. Pour autant, j’aimais toujours passer du temps avec elle. Elle grandissait elle aussi et les signes de sa féminité commençaient à se voir. Ainsi que son intérêt pour les garçons. Nous en riions toutes les deux, même si intérieurement je gémissais.

     Le silence sur tout ce que je subissais me pesait. Mais heureusement, il y avait Jayfred. Jayfred ma soupape de sécurité. Le paradoxe étant qu’il n’y avait qu’avec lui que je baissais mes défenses et le laissait me prendre dans ses bras pour « un câlin ».

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     Jayfred était mon plus gros projet depuis un moment. Louis me laissait carte blanche là-dessus car il savait que derrière il en retirerait quelque chose pour son entreprise.

    J’avais optimisé au mieux sa mémoire et ses capacités d’apprentissage, ainsi que sa façon de se mouvoir, j’avais même changé sa voix et elle était maintenant pratiquement « naturelle ». Il était temps maintenant de changer son apparence extérieure. Je voulais en faire un androïde, un robot d’apparence humaine. Louis m’aida en me mettant en contact avec les meilleurs experts-informaticiens et cybernéticiens du Japon qui s’y connaissaient là-dessus. Et bientôt, je vis apparaître devant moi, non plus un robot métallique, mais un jeune homme qui avait toute l’apparence humaine. Louis, Gustave et Gontran qui avaient assistés aux dernières finitions furent enchantés de la tournure que prenait cette « expérience ».

     - C’est parfait ! On a du mal à croire au premier abord que c’est un androïde...

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     Louis opina du chef devant Gontran et rajouta :

     - Nous pourrions le programmer pour faire différentes tâches, un serviteur… Ou même un soldat, qui ne serait jamais fatigué… Oui, je pense qu’il y a moyen de faire quelque chose d’intéressant. Nous pourrions en discuter avec l’armée des Etats-Unis. Je pense qu’elle serait ravie d’avoir ce genre d’outil. Et nous, nous garderions le brevet de fabrication bien évidemment.

     Les trois hommes se congratulèrent entre eux puis sortirent de la pièce. Moi, je restais devant l’androïde, le cerveau tournant à plein régime. J’étais toujours fascinée par son apparence.  Humain, il avait l’air si humain. Mais l’illusion s’arrêtait au moment où il ouvrait la bouche et où on se rendait bien compte qu’il était artificiel. Un film me revint alors à l’esprit : « Blade Runner », les androïdes surnommés les Réplicants. J’aurais tellement aimé que Jayfred soit aussi intelligent que ces Réplicants, j’aurais ainsi un vrai compagnon.

    Je touchais sa main et ses yeux s’ouvrirent, gris métallique.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

      - Mademoiselle, à votre service.

    - Voudrais-tu être plus intelligent ?

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     

    - Je ne comprends pas, Mademoiselle.

    - … Voudrais-tu me servir davantage ?

    - Comment puis-je vous servir, Mademoiselle ? Mademoiselle veut que j’allume la radio ? En ce moment, vous trouverez une émission sur les étoiles et les superno…

    - Non. Stop ! … Ah, tu réagis comme un robot… Jayfred, ne voudrais-tu pas comprendre le monde, être conscient de ce qui t’entoure ?

    - Je ne…

     Il s’arrêta soudain de parler. Sa batterie venait de s’arrêter. Je hurlais de frustration et de dépit. Pour son énergie aussi, je devrais trouver un moyen de le rendre plus autonome. Mais là, je me heurtais à mes limites mentales. Et je n’aimais pas ça.

     Avec le recul, je crois bien que c’est à ce moment-là qu’est arrivé le point de non-retour. Si Gustave n’était pas venu, si Louis n’avait pas été occupé ailleurs, alors je n’aurais pas été livrée à moi-même et je n’aurais jamais été aussi loin…

    Après, je ne peux pas faire entièrement reposer sur eux la faute. Non, cela serait trop facile. C’est quand même moi qui aie initié ce qu’il s’est passé…

     Et donc, comment est-ce arrivé ? Cela s’est passé un soir de week-end, chez Louis. J’avais eu sa permission de travailler sur Jayfred pendant que lui serait parti dans la filiale de Silicon Intelligence à San José.

    Gustave en a profité pour venir. D’habitude, ce qu’il me faisait était rapide, je regardais le plafond quelques minutes et c’était terminé. Mais là, sachant que Louis n’était pas là, il prit ses aises. Je ne vais pas rentrer dans les détails mais il a été absolument ignoble et à son départ, je me suis retrouvée par terre, nue, recroquevillée sur moi-même et sanglotante. Il me fallut beaucoup de temps pour me remettre. Je ne pouvais pas rentrer dans l’état où j’étais. J’appelais donc ma mère pour lui indiquer que je resterais toute la nuit dans la maison de Louis car j’avais un travail à finir. Je raccrochais puis allais dans la chambre où se trouvait Jayfred. Celui-ci tourna la tête en me voyant mais ne réagit pas tant que je ne lui en donnais pas l’ordre. Il avait « vu » ce qui venait de se passer avec Gustave. Mais, bien évidemment, il n’avait pas réagi. Comment aurait-il pu d’ailleurs ? Je ne lui en avais pas donné la possibilité et il n’était pas assez intelligent pour le faire…. L’intelligence… Par quel moyen pourrais-je le rendre plus intelligent ?

     J’haussais les épaules. Je ne savais pas et à ce moment-là, je n’en avais rien à faire. Je décidais de prendre un bain. L’odeur de Gustave sur moi me donnait des haut-le-cœur et puis il fallait enlever ce sang qui séchait sur mes cuisses.

     Alors que j’étais en train de m’étriller dans le bain, une pensée me vint soudain : Louis avait gardé dans son bureau des documents sur les puces neuronales ainsi que sur les réseaux neuronaux. Je pourrais peut-être m’en servir pour reconfigurer le cerveau de Jayfred. Je n’étais pas très sûre que cela serve à quelque chose, mais je me devais d’essayer.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     Je sortis rapidement de la baignoire, j’enfilais un peignoir et me dépêchais d’aller dans le bureau de Louis. Je trouvais rapidement les articles souhaités. Je n’avais plus qu’à me mettre au travail. Mais au moment où j’allais partir, je butais contre l’armoire métallique et les documents qui étaient entassés dessus tombèrent au sol. J’eus une moue agacée, il allait falloir ranger cela. Une perte de temps en plus. Mais alors que je faisais un tas des documents, mon regard s’arrêta sur un nom et je me figeais : Aliénor. C’étaient les documents relatifs aux scans de son cerveau. Finalement, ceux-ci n’avaient jamais servis car Albert et Louis étaient ensuite partis sur d’autres projets. Je m’emparais des papiers, les serrais contre moi et je remontais à l’étage.

     La première chose que je changeais chez Jayfred ce fut sa voix. Elle n’était plus affreusement artificielle mais chaude et grave, à l’image que je me faisais de mon Jayfred. Je ne me lassais pas de l’entendre parler, c’était délicieux.

    Ensuite, je l’éteignis et ouvris sa tête. Il me fallait maintenant me pencher sérieusement sur son « cerveau ». Les articles sur les puces neuronales avaient pu me servir un peu mais pas vraiment pour la partie principale. Machinalement, j’ouvris le dossier d’Aliénor et regardait ses radios et IRM. L’inspiration me vint en voyant le réseau synaptique mon amie. Je pris les images et les collais devant moi sur l’établi et je me mis au travail. Je reconfigurais tout le cerveau de Jayfred pour qu’il ait la même configuration que le réseau de neurones et synapses d’Aliénor. Mais au dernier moment, sur une inspiration, je changeais le sens de tout cela. Aliénor avait un réseau qui partait « à droite », Jayfred partirait donc vers « la gauche ».

     Ce n’est qu’une fois finie que je me rendis compte que j’avais passé toute la nuit dessus : l’aube commençait à pointer à travers la fenêtre. Je poussais un soupir et regardait l’androïde. Il allait falloir attendre un peu avant de savoir le résultat car sa batterie était en cours de chargement.Je reposais mon regard sur les scans du cerveau de mon amie. Mes sourcils se froncèrent. Sur une impulsion, je pris les documents et descendis à la cuisine pour les brûler. Même si mon travail ne donnait rien, plus personne ne les utiliserait.

     Je remontais à l’étage et je regardais l’androïde. Mais celui-ci était toujours en train de charger. Je me mis à bailler, la fatigue m’envahissait. J’avais le temps de faire une petite sieste pour me reposer un peu. Je m’allongeais sur le lit et sombrais aussitôt.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     Ce fut le soleil sur mon visage qui me réveilla… ainsi qu’un regard. Je me tournais vers l’établi. La batterie était passée au vert. Jayfred me regardait de ses yeux gris métallique. J’eus un sourire. Au moins, il avait l’air de fonctionner normalement.

     - Ha Jayfred ! Super, tu es rechargé. On va pouvoir te faire pleins de test ce matin.

    - je m’appelle Jay, Emma.

     J’étais en train de mettre mes chaussons et je me figeais au son de sa voix. Cette intonation…

     - Pardon ?

    - Mon prénom, c’est Jay.

    - Pourtant, Jayfred, c’est ainsi que je t’ai appelé.

    - Je le sais, Emma. Et je vous en remercie. Mais je préfère Jay. Cela me correspond mieux.

    - Cela te correspond mieux … ?

    Je m’approchais doucement de lui. Un peu d’appréhension mais aussi une formidable excitation. Serait-ce possible que… ?

     - Je ne comprends pas, Jay… Que veux-tu dire, cela te correspond mieux ?

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    - Je ne suis plus une machine, Emma. Je suis un androïde… conscient.

     Il avait lâché le mot. Conscient. Je me mordis la lèvre. Avais-je vraiment créé une autre forme de vie… artificielle ? Ou tout cela n’était-il qu’un leurre ? Et l’androïde se leurrait-il lui-même ?

     - Tu es conscient de quoi ?

    - Je suis conscient de penser. Conscient d’être une entité à part. Je suis fini, mais aussi infini. Je suis Moi.

     Je ne dis rien mais intérieurement, je trépignais de joie. Je m’approchais un peu plus de lui et il m’adressa son plus beau sourire.

     - Emma, je suis ravie que vous soyez ma créatrice et je serais toujours à vos côtés pour découvrir ce monde et le faire plier à vos désirs…

    - Ho ! Heu… Je...

     Je m’arrêtais soudain de parler car j’entendis claquer la porte d’entrée claquer. Mince, Louis déjà ? Il ne devait revenir que dans la soirée.

     Mais non, ce n’était pas lui. Je vis, avec horreur, Gustave entrer dans la chambre, un sourire pervers sur le visage.

     - Ma mignonne, je ne fais que penser à notre dernière nuit d’amour. Et je n’ai qu’une envie, c’est de recommencer…

     Je fis un pas en arrière, épouvantée. Non, non, non. Gustave s’approcha de moi et n’eut qu’un regard désinvolte vers Jay. Bien sûr, pour lui, c’était toujours un robot sans âme.

     Mais au moment où Gustave ouvrit de force mon peignoir, m’arrachant un gémissement, Jay se releva de l’établi et s’approcha de nous. Alors que Gustave me pinçait le sein, l’androïde lui prit le bras. Gustave se tourna vers lui, surpris.

     - Que… Qu’est-ce que c’est que ça ?  … Emma, dis-lui de se tenir tranquille. Qu’est-ce que tu as fichu, encore ?

     Je regardais avec effarement Jay contenir Gustave. L’androïde tourna le regard vers moi.

     - Emma. Cet homme vous a fait beaucoup de mal. Si vous le souhaitez, je peux le mettre hors d’état de marche.

     Je fus un instant surprise mais je revins bien vite à moi et mes lèvres formèrent un petit sourire malveillant. Ça, ça me plaisait bien. En revanche, Gustave, lui, n’apprécia pas du tout et supplia Jay de le relâcher.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    Je me délectais de mon pouvoir, la peur avait changé de camp et cela me plaisait infiniment. J’eus une inclinaison de la tête vers Jay. Celui-ci prit Gustave par le col de sa chemise et le traina hors de la pièce. Le docteur eut beau se débattre, la poignée de Jay était d’acier. J’entendis encore ses cris puis beaucoup de bruit d’éclaboussure et puis plus rien. Après un instant, je sortis de la chambre et me dirigeait vers la salle de bain. Jay était debout devant la baignoire et regardait le corps sans vie de Gustave.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    Je suppose que j’aurais dû avoir du remords et regretter le geste de Jay. Mais il n’en était rien. Et si c’était à refaire, j’aiderais moi-même l’androïde à tenir la tête de Gustave sous l’eau.

    Jay se retourna vers moi avec un grand sourire.

     - Il ne vous embêtera plus, Emma.

    - Ha, ça c’est sûr… Bon, et si on essayait de te trouver une autonomie énergétique ? C’est dommage que tu restes ainsi lié à la charge d’une batterie.

    - Avec plaisir, Emma.

     Mais ce ne fut pas ce jour-là non plus que je pus avancer là-dessus car Louis revint plus tôt, finalement. Et il découvrit ce qui s’était passé. Dire qu’il ne fut guère content était un euphémisme. Il entra dans une rage folle en voyant le cadavre de Gustave dans la baignoire. Entre parenthèse, ce n’est pas la mort en tant que telle de Gustave qui le dérangea le plus mais le fait qu’il perdait un « outil » pour ses plans d’eugénisme.

    Mais quand il apprit que c’était Jay qui l’avait tué, de son plein gré, et de ce qu’il était devenu, à savoir conscient, il devint plus prudent. Et sans que nous l’ayons vu venir et avant que Jay puisse réagir, il le désactiva. Il m’ordonna ensuite de rentrer chez moi et d’y rester jusqu’à nouvel ordre. Je ne reviendrais plus chez Louis tandis que celui-ci ne l’aurait pas décidé.

    Je voulus me défendre, expliquer ce que j’avais fait et ce que Jay pourrait apporter mais Louis ne voulut point m’écouter et me montra la sortie du doigt.

     Les jours suivants furent très difficiles pour moi, à être ainsi désœuvrée, sans rien à faire. Et qui plus est, rester avec ma mère. Je me rendis compte que je n’avais plus grand-chose en commun avec mes parents, c’étaient pratiquement des étrangers pour moi. Cela me démoralisa encore plus.

    Mais surtout, j’étais très inquiète de savoir ce que Louis avait fait de Jay. Comme apparemment, rien n’avait changé où que ce soit, je supposais qu’ils avaient réussi à le maîtriser… ou le détruire. Quel gâchis s’ils avaient fait cela. Mais ce que je trouvais encore plus injuste c’était d’être écartée de mon projet. C’était MOI qui avais créé cet Androïde. C’était MOI qui avais donné une conscience à Jay. Louis n’allait quand même pas tout récolter les bénéfices pour lui. Mais je n’étais qu’une gamine de 16 ans et lui un Maître es Manipulations, les jeux étaient faits depuis longtemps.  Mon ressentiment fut encore plus grand envers lui.

     Je suis restée six mois sans nouvelle de leur part. Cela fut bien long et bien fatiguant pour mon pauvre cerveau. Heureusement qu’Aliénor était là, avec ses idées toutes plus farfelues les unes que les autres. Même si à l’époque son intérêt était grandement investi dans l’informatique et ses programmes d’algorithme, elle aimait toujours autant se plonger dans l’astronomie et les dernières découvertes du monde scientifique.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    Nous avons ainsi passé quelques soirées à regarder les étoiles, sur la pelouse du parc municipal. Et j’écoutais parler Allie, de ses projets pour le futur, les fusées, les antennes, les recherches d’extra-terrestres. J’aimais Allie pour cela, sa fraicheur, sa naïveté et son utopie. Et c’est pour ça aussi que je ne pouvais rien lui dire. Je ne pourrais supporter de voir son regard se faner et se vider de tout espoir…

     Et puis, un matin, je vis arriver Jonathan Merryn….

     Je n’ai jamais trop parlé jusqu’à présent de Jonathan dans ce carnet. Peut-être par mépris, en fait. Pourtant, Jonathan a toujours été très important pour Louis, même si cela ne se voit pas de prime abord.

    Les Merryn ont toujours été les « adversaires » des Bassington, ma famille. C’est aussi eux qui, les premiers, ont eu un enfant avec le génome modifié par Albert Sarren. Malheureusement, il est mort quelques mois plus tard d’une défaillance généralisée de ses organes. Ce deuil ne les a pas empêché d’avoir un autre enfant quelques années plus tard, Jonathan. Quelques mois avant moi et mon frère. Nous étions en compétition, moi et Jonathan, pour travailler avec Louis et Albert. Enfin, c’est ce que pensais Jonathan. Pour moi, cela n’avait aucune importance. Je savais que j’étais bien plus intelligente que lui, sans fausse modestie.

     Jonathan ne m’aimait pas et moi, je ne lui trouvais aucun intérêt.

     Je fus donc étonnée que cela soit Jonathan qui vienne me voir, chez moi. Je haussais un sourcil un peu dédaigneux et attendit qu’il expose l’objet de sa visite.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     - Emma ! Il faut que tu viennes à Silicon Intelligence. Nous avons besoin de toi.

    - Ah ? Et pourquoi cela ?

    - L’androïde… ce... Jay… ne veut aucunement coopérer avec nous.

     J’écarquillais les yeux. Tiens donc.

     - Jay est encore activé ? J’aurais pourtant cru que vous l’auriez neutralisé et démonté au vu ce qu’il est devenu.

    - Tu plaisantes, j’espère ? Un androïde conscient… Tu n’imagines pas tout le potentiel que nous pouvons faire avec lui… Ah, ne t’inquiètes pas, nous l’avons bridé de manière qu’il ne puisse plus nous faire du mal. On n’a pas besoin d’avoir un Terminator à Newborn.

    - Si vous l’avez bridé, dans ce cas, pourquoi Jay ne veut pas travailler avec vous ?

    - Il ne travaillera avec nous que si tu reviens à Silicon Intelligence… Impossible de le faire plier. Il arrive même à se déconnecter si on le force à faire quelque chose…

     Je ne dis rien, j’eus juste un petit sourire au coin des lèvres. Mais intérieurement je jubilais. Il n’était pas dit finalement que l’on me laisse sur le bord de la route.

     - Et quand est-ce que je dois venir ?

    - Maintenant, si c’est possible. Louis aimerait avancer.

     Je prévins mes parents que je m’absentais pour aller voir Louis à Silicon Intelligence. Evidemment, ils ne m’empêchèrent aucunement de sortir, bien au contraire.

    Je revins donc auprès de Louis, mais surtout auprès de Jay. En six mois, il avait évolué bien plus que je ne le pensais. Ce n’était plus vraiment Jayfred, mon androïde « nouveau-né », mais un « homme » qui raisonnait rapidement et avait un fort esprit analytique. Cependant, je m’aperçus bien vite le côté horripilant de sa personnalité, du fait de son arrogance et sa façon de passer au-dessus des codes sociaux. Là-dessus, il ne fit aucun d’effort d’apprentissage.

     Je découvris également que le Conseil des Sages de Newborn avait oublié l’idée de s’en servir comme soldat mais plutôt de l’utiliser d’une façon… non conventionnelle. A savoir en tant que serviteur sexuel. C’est Jonathan qui me l’apprit, du bout des lèvres. Mais apparemment, cela n’avait pas bien… fonctionné.

    C’est Ambre Princeton, notre nouveau maire qui en avait fait l’expérience. Ambre était une célibataire endurcie et misandre. Cela ne m’étonnait pas qu’elle eut cherché à se servir de Jay comme partenaire de lit. Je pense que si Jay avait été conçu pour ça, cela aurait marché. Mais Jay était un androïde conscient et il n’entendait pas se faire diriger n’importe comment et il le fit bien comprendre à tout le monde : certes, il rejoignit Ambre dans son lit mais elle n’apprécia pas trop l’expérience.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    Jonathan finit par m’avouer que notre maire n’avait pas pu s’asseoir pendant 15 jours tellement c’était douloureux à cet endroit-là…

     Mon retour avait permis de débloquer une situation quelque peu conflictuelle entre Jay, Louis et les ingénieurs. L’androïde accepta de coopérer avec eux tant que j’étais intégrée à leurs projets et à leurs travaux. Cela ne plaisait pas trop à Louis mais il ne pouvait guère faire autrement.

    En si peu de temps, Jay avait réussi à se rendre indispensable et à manipuler aussi, c’était assez fascinant. Ce que je découvris aussi mais que je gardai pour moi, c’est le fait que Jay n’utilisait que peu ses capacités. Il était capable de plus mais il s’abstenait volontairement. Le fait qu’il soit bridé était la grande raison de garder ses capacités en sous-régime et je comprenais qu’il attendait son heure, un moyen, une brèche pour ne plus être asservi. Mais de cela non plus, je ne dis rien à Louis.

     Et puis, il y eut un évènement qui me troubla très fortement…

     Alors que j’étais en train de travailler sur des statistiques financières pour le conseil d’administration de l’entreprise, je m’aperçus que Jay pianotait sur l’ordinateur, en grande conversation par tchat.

     Cela me faisait toujours bizarre de le voir ainsi, en costume, déambulant dans l’entreprise, comme un être humain ordinaire. Louis l’avait présenté en indiquant que c’était son filleul et apparemment, personne n’avait eu le moindre soupçon. C’était pour le moins bluffant.

     Je m’approchais de lui et l’interrogeais.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     - Heu… Tu es en train de faire quoi, là, Jay ?

    - Je donne des conseils pour pirater des comptes.

     Il se tourna vers moi et me regarda avec un grand sourire.

     - QUOI ?!!! …. Mais enfin, mais à qui ?

    - Vous la connaissez, Emma. C’est votre amie, Aliénor.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     

     Je restais un instant interdite puis je pris brusquement Jay par son col de chemise et le tirait vers moi.

    - Je t’interdis de lui faire du mal, tu m’entends ? Tu ne touches pas à Allie…

     Jay me fixa sans rien dire puis, délicatement, il enleva mes doigts de sa chemise.

     - Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle Emma. Je sais bien que c’est votre amie très chère. Je veux juste la connaître un peu plus…

    - Mais… mais… Elle sait que c’est toi ?

     - Vous voulez dire Jay l’androïde de la famille Sarren ? Non, bien évidemment que non. Ne me prenez pas pour un idiot, Emma. Pour Aliénor, je suis Ashton, étudiant en astrophysique.

    - Je ne comprends pas… Comment en êtes-vous venus à parler de piratage de comptes ?

    - Allie… Votre amie souhaiterait avoir plus d’argent pour partir de Newborn.

     Ce qui me frappa tout de suite c’est le fait qu’il l’ait appelé Allie. Il n’y avait que ses proches qui l’appelaient ainsi. A quel moment était-il entré dans son intimité ? Une pointe de jalousie me traversa, mais je la chassais aussitôt. Mais ce qui me chagrina le plus, là-dedans, ce fut de savoir qu’Allie se confiait plus à un inconnu qu’à moi. Et aussi, d’apprendre qu’elle souhaitait quitter Newborn. Elle ne m’en avait jamais parlé…

    Mais il y avait encore quelque chose qui me dérangeait à propos de Jay.

     - Pourquoi souhaites-tu connaître Allie ? Après tout, elle ne fait pas partie de notre entourage. C’est mon amie, certes. Mais tu ne devrais pas t’en soucier.

    - … Aliénor est une jeune fille très rafraîchissante. Bon, elle ne sait pas qui je suis mais elle ne cherche pas à m’utiliser comme tout le monde ici et j’aime sa candeur… Et puis, le fait que nous ayons le même réseau synaptique de neurones me rapproche d’elle…

    - Ho !

     Le réseau ! Je n’avais pas pensé à ça. En copiant l’IRM d’Aliénor, avais-je crée un lien sans le vouloir ? … Est-ce que…. Est-ce qu’il l’aimait ?... Mais un androïde pouvait-il avoir des sentiments ?

     A ce jour, je n’en sais toujours rien et je ne tiens, finalement, à ne pas avoir de réponses à ce sujet.

     Pour être honnête, j’étais très contrariée de ne pas être le centre d’attention de Jay. Après tout, c’était moi sa créatrice, il me devait un minimum de reconnaissance, non ? Ou m’apprécier. Pourquoi personne n’avait de sentiments pour moi ? Je me retrouvais seule, toujours seule.

    Je me mis à pleurer devant Jay. Celui-ci se leva aussitôt et me toucha l’épaule.

     - Vous avez mal quelque part, Emma ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

     Je relevais la tête vers lui et éclatait de nouveau en sanglots.

     - Pourquoi je ne suis importante pour personne ? Pourquoi tu préfères Allie et pas moi ? Pourquoi ?!!!

    - Mademoiselle Emma…

     Jay s’approcha de moi et me prit dans ses bras. Je me figeais d’un coup. Il pencha sa tête vers moi et m’embrassa le sommet du crâne.

     - Mademoiselle Emma… Vous êtes importante pour moi, vous savez… C’est vous qui m’avez créé et c’est vous qui m’avez donné la possibilité d’être conscient. Je serais toujours à côté de vous. Du mieux que je peux, car n’oubliez pas que je suis bridé…

    - Oui… Je sais… On va essayer de trouver une solution à ce sujet…

     Je fermais les yeux, laissant ma tête posée contre la poitrine de Jay et écoutant à l’intérieur, à l’emplacement du cœur, la petite pile énergétique qui permettait à Jay ne plus avoir de batteries. C’était un prototype encore mais cela avait l’air de fonctionner parfaitement. Cette pile, d’ailleurs, avait été fabriqué en collaboration avec l’androïde, moi-même et Jonathan. Bien évidemment, Louis, s’était empressé de reprendre l’idée pour son entreprise, Silicon Intelligence….

     Je savourais cette étreinte, moi qui pourtant n’aimait guère que l’on touche. Mais après tout, Jay n’était pas humain, alors tout était plus facile pour moi.

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    C’est ainsi que Louis nous trouva. Enlacées. Il se méprit complètement sur cette étreinte et eut un petit rire pervers. Je ne cherchais pas à le dissuader. Cela pourrait toujours me servir...

      

      Deux ans sont passés, de moins en moins facile pour moi dans l’entreprise de Louis. Je n’avais plus vraiment ma place, étant donné qu’il ne me donnait plus rien à faire. Il y avait longtemps que je n’avais plus sa confiance. Je ne restais que parce que Jay le souhaitait.

    Et du coup, je végétais quelque peu…

    Jay, lui au contraire, évoluait à vitesse grand V. Et plus personne, maintenant, à part quelques ingénieurs triés sur le volet, ne pouvaient se douter qu’il n’était pas humain.

    Mais pour autant, Louis et le Conseil ne lui faisaient pas confiance et gardaient précieusement à l’abri les codes de bridages. Même moi, je n’y avais pas accès et ce n’était pas faute de les chercher discrètement…Quelque part, ce n’était pas plus mal que je ne les aie pas, car j’aurais fait sauter les verrous qui maintenaient Jay en captivité et le sort en aurait été jeté !

     Et puis, ces dernières semaines tout s’est accéléré…

     Jay n’était plus en contact avec Aliénor depuis un moment, c’est d’ailleurs moi qui aie souhaité qu’il arrête d’échanger avec elle en tant qu’Ashton, mais c’est quand même lui qui m’apprit l’erreur que venait de faire mon amie. Aliénor s’était sentie poussée des ailes dans le piratage et avait voulu subtiliser de l’argent à la Banque Fédérale de Newborn. L’idée n’était pas dénuée d’un certain panache mais il aurait fallu qu’Allie soit un peu plus aguerrie et discrète à ce jeu-là.

     Et, pendant, que Jay m’informait de cela, une idée me vint à moi aussi. Une idée pour préparer l’avenir… 

    Je prévins donc Louis de la bêtise de mon amie, et, suggérait en passant, qu’Aliénor serait quand même mieux employée à Silicon Intelligence qu’à faire des bêtises. Louis avait toujours gardé un œil sur elle et trouva l’idée excellente. 

    Ensuite, une fois qu’Aliénor fut sortie d’affaire, avec un travail en poche et un billet d’avion pour San José, j’allais la voir et je jouais la scène de l’amie abandonnée, tout en glissant quelques indices pour qu’elle puisse réfléchir. 

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

    Pauvre Allie ! Quelle tête misérable elle m’a fait quand je l’ai accusé de m’abandonner. Cela me rend triste et en même temps, je sais que j’agis pour son bien. Je lui ais donné les clés pour partir de Newborn. Je la recontacterais quand le temps aura un peu passé et je lui dirais la vérité. Je suis sûre qu’à nous deux et avec Jay nous pourrons faire tomber l’empire de Louis Sarren… 

    Deux semaines se sont passées depuis le départ d’Aliénor et je viens d’apprendre l’énormité : Louis Sarren brigue la Maison Blanche. Alors, non, ceci, cela ne va pas être possible. Je ne peux pas laisser passer cela, foi d’Emma Bassington.

    C’est pour ça que j’ai écrit dans ce carnet, afin de garder une trace de tout ce qu’il s’est passé à Newborn et de l’utiliser si besoin…            

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

             

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

                                                                                                          

    L’écriture d’Emma s’arrêtait là. Mais il y en avait une autre, un peu en dessous et non codée. Une écriture droite et appuyée :

     

    La lettre a été inséré dans le carnet comme me l’a demandé Emma avant de partir chez Louis.

    J’ai gardé ensuite le carnet avec moi jusqu’à ce que tu reviennes à Newborn. Je l’ai ensuite caché dans la Maison des Bassington, afin que Raphaël Bassington le trouve.                                                                                                                                                               

     

    La pilule rouge a-t-elle été difficile à avaler ? Bienvenue dans le monde réel, petite Allie. 

     

    La dernière phrase me fit mordre les lèvres jusqu’au sang. 

    Et maintenant que je savais tout ou presque de la vérité, qu’allais-je faire ?          

     

     

    Chapitre 18 : Retour dans le passé - 2eme partie

     

                                                                     


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  • Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

    Je suis donc née, ainsi que Raphaël, à la Clinique Protéria à Newborn. J’y ai également été conçu. Oui, il n’y a guère de hasard dans ma conception.

    C’est Albert Sarren, le père de Louis, qui s’est chargé de la fécondation mais aussi du changement de génome des cellules fécondées. Ceci, afin de faire naitre un petit génie.

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

     

    Bon, cependant, il n’avait pas prévu qu’une fois dans le ventre de ma mère, les petites cellules se dédoublent en jumeaux. Comme quoi, on peut essayer de tout prévoir, la nature se charge de nous rappeler qu’elle a toujours le dernier mot. 

    Il faut savoir également que mes parents ont participé de leur plein gré à cette expérience. Ils faisaient partis de « l’Elite de Newborn » et espéraient apporter leur contribution dans l’avènement d’une humanité nouvelle qui remplacerait l’ancienne.

    Et jackpot, ils ont eu deux enfants pour le prix d’un. Mais un seul génie, on ne peut pas tout avoir. 

    Raphaël a gagné le droit d’être normal. Pas de sur intelligence ni de sous-intelligence, mais dans la norme. Et je pense toujours que c’est lui qui a le plus de chance. 

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

    Moi, je suis un Monstre. A 1an, je parlais : sujet, verbe, complément. A 2 ans, je lisais des livres simples. A 4 ans, je connaissais mes quatre opérations mathématiques : addition, soustraction, multiplication et division. A 6 ans, je commençais à regarder les algorithmes informatiques. Un Monstre je vous dis.

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

     

    Mais j’étais la plus grande fierté de Louis et Albert Sarren, les dirigeants officieux de Newborn : La famille Sarren est la tête pensante de Newborn, les Princeton, les dirigeants officiels et les Dumont, Bassington et Snool les financiers. 

    Newborn… Quelle belle ville, n’est-ce pas ? Une jolie ville du sud des Etats-Unis où il fait bon vivre. Mais si on creuse un peu, on se rend compte petit à petit qu’elle est bien loin de l’image idyllique.

    A Newborn, vous ne verrez ni amérindiens, ni noirs, ni asiatiques. A la rigueur quelques descendants russes ou irlandais. Mais ils ne sont là que pour l’entretien ou le service des « grandes maisons ». Newborn est donc raciste. Mais pas que. Elle est également élitiste et eugéniste. Pour faire plus simple, elle promeut les grands et beaux blancs aux dents blanches. A Newborn, pas d’handicapés, de perturbés ni de laideurs ou presque. 

    Voici donc le cadre dans lequel j’ai baigné depuis que je suis née. Pour être honnête, au début, cela ne me choquait pas car je ne connaissais que cette façon de penser. Et puis, Louis m’avait très fortement accaparé, depuis qu’il avait appris ma précocité. Avec la bénédiction de mes parents, bien évidemment. Sous couvert, pour les citoyens naïfs, de prendre en charge au mieux ma grande intelligence, il se servait en fait de moi. Ce n’est pas de l’esclavage mais cela n’en est pas loin… 

    Louis, à l’inverse de son père qui privilégiait l’intelligence humaine, avait toujours été fasciné par la cybernétique et l’intelligence artificielle. Il espérait arriver à construire un jour des machines assez douées pour remplacer tous les « nuisibles » de la société. En clair, des blancs riches avec leurs serviteurs mécaniques. Quel beau projet que celui-là ! Je suis sarcastique mais j’ai quand même participé à tous les projets que me demandaient Louis. Au début, pour lui faire plaisir, car oui, j’avais de l’affection pour lui et ensuite… parce qu’il ne m’a pas laissé le choix. Je ne suis pas toute blanche là-dedans, je le sais. Mais je serais prête à payer ma dette s’il le faut. Au moment voulu. 

    Donc, Louis voulait une armée de serviteur robotique et ce fut donc mon principal sujet d’étude depuis mon enfance. Mais malgré toute ma bonne volonté et celle de Jonathan (car oui, il y avait quand même un autre Doué/esclave avec moi pour tout cela), nous n’arrivions pas à des résultats très concluants. La forme humaine en robotique était quand même bien compliquée à mettre en œuvre. Du coup, Louis abandonna cette idée et se tourna vers l’informatique et le développement des programmes intelligents via sa Société Silicon Intelligence. Et, évidemment le succès fut à la hauteur de ce qu’il espérait. Il put même rencontrer d’autres personnes qui avaient les mêmes idées que lui sur l’eugénisme… 

    Moi, de mon côté, je continuais quand même mes recherches sur la cybernétique dans l’espoir d’avoir un jour un compagnon artificiel. Car je crevais d’ennui. J’étais une enfant dans un monde d’adultes, même si ma douance m’éloignait quand même quelque peu de mes semblables. Pour autant, j’avais besoin de lien social et parfois, aussi, de réagir comme une enfant.

    Bien sûr, j’avais mon jumeau, mon frère, mais il n’était pas souvent avec moi et il avait aussi ses amis de l’école. Et puis, il faut bien l’avouer, Raphaël préférait jouer avec ses camarades plutôt qu’avec moi, car j’étais quand même difficile à suivre. Même s’il m’aimait beaucoup.

    Donc, c’est pour ça que je me tournais vers mes petits projets, quand Louis me laissait un peu de temps. D’ailleurs, ce temps « libre » n’était pas spécialement gratuit. Je savais que mes recherches personnelles l’intéresseraient tôt ou tard. Au moins, cela me procurait un dérivatif et cela me permettait d’oublier ma solitude.

     Et puis, un jour, alors que j’assistais encore une fois au « conseil des Sages », une nouvelle me fit dresser l’oreille. C’est Gontran, le père de notre maire actuel qui vint finalement mettre un terme à ma solitude lors de leurs échanges : 

    - Louis, est-ce que tu ne pourrais pas faire quelque chose pour la famille Orpheline ? La mère en est à son cinquième enfant. Et encore une fille…

    - Gontran, que veux-tu que je fasse ? Je ne peux quand même pas les noyer dans la rivière.

    - Pourquoi ne pas la faire stériliser à la Clinique Protéria ? C’est bien ce que nous avions fait pour Célina Delpovani, non ?

    - Certes, certes. Mais si des choses se sont faites il y a quelques décennies, c’est maintenant un peu plus compliqué ou alors, il faut agir de façon vraiment discrète. La seule chose à notre portée serait d’expulser la famille. Mais réfléchis bien, Gontran. La famille Orpheline est quand même très utile pour notre ville. Les filles grandiront et feront de très bonnes employées. Et puis, ce sont des gens calmes et qui savent où sont leurs intérêts. 

    Ce qu’il oubliait de dire, ce cher Louis, c’est que Madame Orpheline était aussi sa maîtresse. Cela l’aurait grandement dérangé de la voir quitter la ville. Je n’ai jamais su cependant, s’il était le père d’un des enfants. Mais revenons à nos moutons… 

    - Bon d’accord, Louis, je laisse la famille Orpheline tranquille…. Ah sinon… Ma femme qui dirige l’école primaire m’a fait part d’une enfant un peu bizarre, la petite Raven, tu sais ceux qui sont arrivés dernièrement ici.

    - Bizarrement ? C’est-à-dire ? C’est une attardée mentale ? 

    A ces mots les autres membres grimacèrent de dégoût. Mais Gontran eut un petit sourire vers Louis. 

    - Ho non, au contraire. Ma femme pense que c’est une Douée.

    - Une Douée ? Ici, à Newborn, sans être sortie de la clinique ? C’est étonnant...

    - La petite fait partie de la famille qui est arrivée ici il n’y a pas très longtemps. Nous n’avons pas encore trop eu le temps de les étudier. Mais bon, apparemment, d’après ma belle-sœur, Karine Raven, la mère de famille, serait une très bonne coach sportive.

    - Nous allons faire une petite enquête sur eux, Gontran. Si la petite est une Douée, une vraie Douée, il faudra que je la rencontre… 

    Toute cette histoire n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde, et j’avais moi aussi envie de rencontrer cette Aliénor. Déjà le prénom me plaisait. C’était bon signe.

    Et, ce samedi-là, aidé de mon frère, je mis tout en œuvre pour la rencontrer. Moi qui d’habitude avait horreur de la foule et de sortir en dehors de la demeure de mes parents ou de celle de Louis, je parcourus la bibliothèque, le musée et enfin le parc de la ville. Ce fut là que je la rencontrais, assise sur un banc et l’air bien esseulée. Une petite fille un peu enrobée, de grosses lunettes, une tresse rousse et une mine navrée. Voilà donc le premier portrait d’Aliénor.

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

     

    Je décidais de m’asseoir à côté avec Raphaël et d’amorcer la conversation sur un thème qui ne manquerait pas de l’intéresser si elle était vraiment une Douée.

    Et en effet, le poisson fut ferré.

     

    Je m’arrêtais un instant dans le déchiffrage et la lecture du carnet. Déjà pour digérer tout ce que je venais d’apprendre sur Newborn et ses dirigeants. Mais aussi pour mon amie qui révélait un penchant de sa personnalité que je n’appréciais pas trop. Et, j’étais énervée de savoir qu’il n’y avait pas eu de hasard, dans quoi que ce soit, à mon arrivée à Newborn. Je poussais un grognement puis continuait ma lecture, n’oubliant pas que mon temps était compté.

     

    Je devins amie avec Aliénor et je ne tardais pas à l’appeler familièrement « Allie ». Ma rouquine préférée.

    Bien évidemment, Louis Sarren ne tarda pas à la rencontrer aussi. Au parc également.

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

     

    En même temps, Aliénor y passait le plus clair de son temps. Donc, Louis la rencontra, vu son potentiel et l’intégra au Groupe de Haut Potentiel. Et là je rigole. Ce petit groupe n’était en fait qu’une façade. C’était juste un moyen de découvrir comment fonctionnait l’intelligence d’Aliénor et certainement pas pour qu’elle soit mieux dans sa peau. Même si au final, cela a quand même eu ce résultat. Si j’ai toujours eu des problèmes de communication et interagir avec les autres, Allie, elle, a toujours été trop naïve. La preuve, elle n’a jamais su la vérité sur le groupe ni sur l’intérêt réel de Louis à son égard. Mais soit, c’est un trait de sa personnalité.

     

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

    Je grinçais de nouveau des dents. Bon sang, ce que je découvrais d’Emma ne me plaisait pas beaucoup… Quel était donc ce trait de caractère que je ne reconnaissais pas ? Je soufflais un instant, prenant corps avec ma respiration pour me détacher un peu de ces émotions négatives. Puis je repris ma lecture.

     

    Louis et Albert étaient assez étonnés par l’intelligence d’Aliénor, eux qui jusqu’à présent avaient façonnés les Doués de cette ville. Ils voulurent donc lui faire passer un scanner de son cerveau afin de voir comment elle fonctionnait. Il leur fallait maintenant trouver une raison pour lui faire passer ce scanner. Les parents d’Allie avaient sûrement leurs défauts mais pas celui de ne pas protéger leurs enfants, et surtout sa maman, qui était méfiante au possible. 

    Alors intervint le Docteur De Hermint. Gustave de son prénom. C’est lui qui me suit depuis ma naissance. Puisque je suis franche ici, sur le papier, je peux indiquer que je ne suis pas une personne très solide. Mon cerveau a besoin d’énormément d’énergie pour fonctionner et du coup, j’ai souvent des carences. Ce qui veut dire que j’ai des examens tous les mois. Avec ce cher Gustave. Dieu que je le hais. Mais j’y reviendrais. 

    Gustave, donc, trouva un prétexte quelconque pour l’emmener faire des examens à la clinique. La maman, étant plus confiante face à un Docteur, accepta donc ces examens. Mais pour mon amie ce fut une autre paire de manche. Elle ne voulait aucunement passer dans la machine.

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

    Je ne sais comment elle avait deviné mais elle sentait qu’il y avait là quelque chose d’anormale. Alors, Gustave la drogua. Depuis, elle ne se souvient plus de rien. Car oui, j’étais avec elle dans la Clinique. Louis penserait que cela la calmerait d’être avec moi. Mais la pauvre, elle était tellement droguée que c’est à peine si elle a réagi quand je lui ais tenue la main. C’est peut-être mieux qu’elle ait tout oublié et ce n’est pas moi qui lui rappellerais.

    Ils l’ont eu leurs scans. Mais, pour ma part, c’était le premier accroc que j’avais de ma relation avec Louis…. 

     

    Mes mains tremblaient… Que… Quoi ? … Un scan de mon cerveau ?... Mais pourquoi ? … Allons, ce n’était pas possible. Emma affabulait.

    Et pourtant… Combien de fois, étais-je passée devant la clinique Protéria avec un vague malaise ?

    Je passais ma main sur le carnet, un peu lasse et choquée de tout ce que j’avais appris. Je relevais la tête et regardais l’heure. 23h30. Et je n’en avais lu que la moitié. Combien d’horreurs Emma allait-elle encore me raconter ? Et quels sont donc les secrets qui pesaient sur ses épaules ?

    Je rouvris le carnet et me repenchais dedans…

     

    Après ce qu’ils avaient fait à Aliénor, je commençais à rechigner sur les travaux que me demandaient Louis. Mon acte de rébellion commença par ne plus venir aux réunions de Louis à Silicon Intelligence. Je préférais rester chez moi à jouer avec mon frère ou Allie. Au début, Louis pensa que j’étais un peu lasse et fatiguée et me lâcha la bride. Mais quand au bout d’un mois je n’étais toujours pas revenue, il se fâcha et passa donc le message par ma mère.

    Une petite explication s’impose : mes parents doivent tous à la famille Sarren : leurs carrières, leurs maisons et même leurs enfants. Ils sont complètement sous leurs influences et ne leur refusent rien. Louis savait donc ce qu’il faisait en appelant ma mère. Celle-ci, bien évidemment, se mit en colère et me dit de retourner voir Louis. Et bien évidemment, j’obéis à ma mère… 

    Heureusement, à cette époque-là, Louis était intéressé par tout ce qui avait trait à l’espace, le progrès de l’homme dans la conquête spatiale ainsi que les dernières découvertes scientifiques. Aliénor était également enthousiaste là-dessus et le suivait avec joie lorsqu’il nous demandait des recherches là-dessus, lors de nos réunions sur le groupe « Haut-Potentiel ». Je pus ainsi me mettre en retrait pour un moment. Mais évidemment, tout cela ne dura pas. Je dû continuer à alimenter ses fameuses statistiques ethniques et chercher ce qui irait mieux comme technique pour stériliser le plus grand nombre « d’indésirables ».

    Je décidais alors de falsifier mes résultats afin que rien ne soit fiable ou exploitable. Mais bien évidemment, que cela ne se voit pas au premier regard. Croyais-je leurrer quelqu’un ? Moi sûrement…. Peu de temps après, Louis me convoqua dans son bureau, chez lui. 

    - Croyais-tu que nous n’allions pas nous apercevoir de ces erreurs, Emma ? Je ne sais pas ce qu’il t’arrive en ce moment mais il va falloir te ressaisir rapidement… Souhaites-tu que nous expulsions Aliénor et sa famille ? 

    Je poussais un cri. 

    - Non !  Non, ne faites pas cela…. Je… Je vais faire attention maintenant, je vous le promets.

    - Bien… Bonne fille…. Ah, au fait, tu as rendez-vous à la clinique. Gustave doit te faire une autre prise de sang. 

    J’opinais de la tête, ravie de m’en sortir à si bon compte et trottinais jusqu’à la clinique.

    Je n’aimais pas trop le Docteur De Hermint mais heureusement, la plupart du temps, les examens se passaient vite. Ce ne fut pas le cas ce jour-là.

    Après la prise de sang, le docteur me regarda de haut en bas avec un drôle d’air. 

    - Bien… Tu n’es pas loin de la puberté, maintenant Emma. On va vérifier si tout se développe correctement. Enlève ton tee-shirt. 

    J’eus un bref mouvement de recul mais il haussa un sourcil et j’obéis. Ses yeux s’abaissèrent sur ma poitrine toute plate et il se passa la langue sur les lèvres. Puis ses mains se posèrent sur mes épaules et descendirent jusqu’à ma culotte. 

    - Ce n’est pas encore ça pour tes seins mais voyons si tout se développe bien comme il faut en bas. 

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

    J’eus beau me débattre et le supplier, il n’en tint pas compte. Il me retira d’un geste ma culotte, m’allongea sur la table d’examen et écarta mes cuisses. Ensuite, il s’allongea sur moi et me pénétra d’un seul coup. Je criais de douleur mais cela l’excita encore plus. Et je dus supporter, pendant ce qui me parut une éternité, son souffle sur moi et son va-et-vient dans mon intimité. Enfin, il en eut fini et je pus repartir chez moi… 

    Encore maintenant j’ai du mal à me souvenir de cette scène sans éprouver du dégoût et de la honte. Louis avait trouvé une punition bien cruelle à mon égard. Car, si ce n’était pas lui qui m’avait violé, c’était lui qui était derrière cela. Alors oui, j’étais rentrée dans le rang mais j’étais brisée. Et bien évidemment, je ne pouvais en parler à personne. Et surtout pas à Allie…

     

    Les larmes coulèrent sur mes joues. Ho Emma ! Ma pauvre Emma. Et moi qui n’avais rien vu, rien deviné de ton mal-être à ce moment-là. Quelle solitude avais-tu éprouvée…

    Je passais ma main devant mes yeux pour essuyer mes larmes puis repris encore une fois ma lecture, navrée et en colère.

     

    Après ce qui venait de se passer avec Gustave, j’avais besoin de réconfort et je passais alors plus de temps avec mon jumeau, Raphaël. Il vivait de façon si normale et si éloignée de la mienne que cela me faisait du bien de partager ces moments si innocents avec lui. Et puis, il ne refusait jamais mes câlins quand j’en avais besoin. Mais je devais être plus transparente que je ne le pensais car son regard, soucieux, se posait souvent sur moi. 

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

    - Cela va bien Emma ?

    - Oui, oui, ne t’inquiètes pas. J’ai juste besoin d’un peu d’affection.

    - Hé, tu sais que je suis toujours là pour toi, hein ? 

    Je lui souris. Bien sûr qu’il serait toujours là. C’était mon frère et mon jumeau. Mais malgré tout, je ne pouvais pas tout lui dire, cela le détruirait d’une certaine façon. J’avais besoin de son innocence pour me ressourcer à ses côtés. 

    Et pour autant, je me sentais encore très seule et je n’en pouvais plus de ne pouvoir rien dire à personne. Il y avait bien Jonathan, l’autre protégé de Louis. Mais lui, il était tellement acquis à la cause des Sarren que ce n’était même pas la peine de lui parler.

    Alors, mes anciens projets me revinrent à l'esprit tandis que je regardais un film de science-fiction. Blade Runner qu’il s’appelait.

    Pour me mener à bien mes recherches, je dus en parler à Louis, car j’avais besoin de ses ressources. Il fut enchanté de mon idée et me donna accès à une pièce de sa maison pour le réaliser, ainsi que l'accès aux ordinateurs et Internet. Je pris contact avec des personnes à l'autre bout du monde qui avaient bien avancé en cybernétique depuis quelques années. 

    Bien évidemment, pour Louis cela n’était pas gratuit et je savais que ce que j’allais créer lui servirait d’une façon ou d’une autre. Mais j’aurais ce que je voulais. Et à ce moment-là, j’étais prête à pactiser avec le Diable pour avoir ce que je désirais.   

    Cela me prit du temps, je fis toutes les recherches possibles et inimaginables sur ce qui était déjà créé, sur des projets d’avant-garde et  et enfin je me mis au travail. 

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

    Et, alors, que j’avais fini l’école élémentaire depuis bien longtemps (même si l'école était un non-sens pour moi, mais ma mère voulait faire « comme tout le monde ») et que j’étais au collège, mon robot humanoïde s’alluma. 

    Il était assez grossier et son visage n’était qu’un écran où s’allumaient des icônes, mais c’était ma création et peut-être, enfin, mon compagnon.Le robot tourna la tête vers moi et parla de sa voix fortement synthétique. 

    - Mademoiselle Emma, je suis à votre service. Veuillez me donner un nom s’il vous plaît. 

    Ah ! Zut ! Je n’avais pas pensé à cela… Et puis, alors que je me creusais la tête, une vieille série que je regardais étant petite me vint à l’esprit. Il y avait un majordome dans cette série qui avait toujours une solution aux problèmes de la famille et qui était d’humeur égale.  J’avais adoré ce personnage. Son prénom ferait l’affaire. 

    - Jayfred ! Je vais t’appeler Jayfred !

    Chapitre 17 : Retour dans le passé - Première partie

     


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  • Cela faisait une semaine que Nath et Rowan étaient arrivés à Newborn quand la catastrophe arriva… 

    En ce lundi matin, alors que nous étions à peine arrivés au bureau, le Directeur vint nous voir et nous demanda de passer en salle de réunion.

    Aussitôt installés, il alluma la télévision et nous restâmes abasourdis devant les images qui s’offraient à nous : Un immense champ de flammes se déployaient devant nos yeux. Les raffineries d’Arabie Saoudite étaient toutes en flammes.

    Chapitre 16 : Ruptures

     

    Oui, toutes. De la raffinerie de Jazan à celle de Yanbu Yasref. Nous étions sous le choc et nous savions déjà ce que cela allait entrainer. Même si les Etats-Unis arrivaient à produire du pétrole pour leur propre marché, ils importaient quand même du pétrole lourd du Moyen-Orient. La pénurie allait entrainer une hausse des prix et une crise économique. 

    Et, pour en ajouter un peu plus dans ce désastre, ce n’était pas un accident mais une attaque concertée. Nous avions pu voir, avant que les caméras ne lâchent dans une raffinerie, une armée de drones en suspens au-dessus des infrastructures. Qui était derrière tout cela ? Nous étions dans l’ignorance pour le moment. 

    Le Directeur fut assailli toute la matinée par des appels de l’armée. Quelques heures plus tard, nous étions encore conviés en salle de réunion. Jay Sarren était également présent, mais cette fois-ci, il ne m’accorda aucune attention et sembla même quelque peu distrait.

    Monsieur Vassanali nous fit part du changement abrupt de notre mission présente : point de fioriture dans l’IA, nous devions aller au plus essentiel et mettre au point rapidement une machine de guerre autonome. Nous devions également produire des drones tactiques pour l’Armée.

    Chapitre 16 : Ruptures

     

    Du coup, ce pourquoi j’étais venu ici prenait un peu moins de sens car il y avait moins d’enjeu et moins de recherche. Mais je devais quand même faire le travail pour lequel j’étais payé. 

    Le soir-même, nous étions complètement épuisés de notre journée. Mais je souhaitais quand même cette fois-ci appeler Raphaël. J’avais besoin de sa présence après tout ce que nous avions appris. 

    Il arriva une demi-heure plus tard, aussi bouleversé que moi par la nouvelle et il m’enlaça fortement.

    Chapitre 16 : Ruptures

     

    Comme nous n’avions pas le cœur à cuisiner quoi que ce soit, Rowan commanda une pizza.

    Et nous nous installâmes dans le salon. La conversation devint vite languissante, même si nous étions tous inquiet de ce qui se préparait. Ce fut Rowan qui se ressaisit la première et demanda à Raphaël de nous jouer un petit morceau au piano afin d’alléger un peu l’ambiance. Elle se mit juste à côté de lui pour l’écouter et battre le tempo. Je souriais mais alors que je tournais la tête pour partager mon amusement avec Nath, je vis que celui-ci était en train de consulter son téléphone, le visage livide.

    Chapitre 16 : Ruptures

     

     - Qu’est-ce qu’il y a Nath ?

    - Regardes. Cela vient d’arriver ce soir… 

    Il me tendit son portable et je lus ce qui avait inquiété Nath : une cinquantaine de câbles sous-marins de communication entre l’Amérique du Nord et l’Asie venaient d’être coupés. Un juron monta à mes lèvres. Je jetais un regard en biais à Rowan et Raphaël mais ils étaient plongés dans leur musique. Je revins à Nath qui me regardait les yeux remplis d’inquiétude. 

    - Ce n’est pas normal, Allie. Pas normal du tout. Les raffineries et maintenant les câbles. Tout cela sent une manœuvre sous-jacente.

    - C’est ce que je suis en train de penser en effet…. Qu’allons-nous faire ?

    - Il serait peut-être temps de mettre en place ce que nous avions prévus avec Will et Rowan, non ?

    Chapitre 16 : Ruptures

     

    - Tu es sûr ? Si on le met en place, il n’y a plus de retour en arrière possible.

    - Oui. Tout cela va trop vite. Si nous n’agissons pas maintenant, il sera peut-être trop tard ensuite. Faisons-le au moins pour notre sécurité.

    - Ok, je l’appelle. 

    Je sortis de table, fis un bref sourire rassurant à mes amis puis je montais dans ma chambre et prit dans mon sac un autre portable que je trimbalais avec moi. C’était un portable jetable acheté en magasin et surtout intraçable par qui que ce soit. Le genre de portable qu’on utilisait pour éviter d’être repérer. Je l’allumais et composait le numéro que je connaissais par cœur. Il décrocha aussitôt. 

    - Will ? C’est Aliénor.

    - Tu as vu ce qu’il se passe ?

    - Oui. C’est pour cela que je t’appelle.

    - On enclenche le plan ?

    Chapitre 16 : Ruptures

     

    - Oui.

    - Ok. Pour demain, ça vous va ?

    - .. Si tôt ? …

    - Aliénor. Je ne sais pas combien de temps les autres câbles vont rester intact. Il faut bouger rapidement avant de ne plus pouvoir le faire…

    - Je sais, je sais. Tu as mes codes ?

    - Oui, pas de problèmes. Je contacterais Nath pour le reste. Je coupe. 

    Et il raccrocha. Je soufflais un bon coup. On y était. Dans ce que nous avions envisagé de pire. Il fallait maintenant que j’en informe Rowan et explique tout cela à Raphaël. 

    Rowan, comme je m’y attendais, ingurgita l’information tout de suite et fut prête. Ce fut plus difficile pour Raphaël. Il me fallut un peu plus de temps et de persuasion. Au bout d’un moment, il céda, sans gaieté de cœur. Il m’embrassa puis quitta la maison : il avait des choses à régler et préparer d’ici demain. 

    Je remontais dans ma chambre et je restais un instant les yeux dans le vague. Finalement, en partant d’ici, puisque c’était de cela dont il s’agissait, je ne saurais jamais ce que me cachais vraiment Newborn. Ni ne saurais vraiment ce que voulais me dire Emma. Un mal pour un bien peut-être. 

    J’allais commencer à préparer mes affaires quand soudain mon portable sonna. Je me figeais. Ce n’était pas le mien, mais le portable jetable. Normalement, personne n’aurait dû m’appeler dessus.

    D’une main tremblante, je décrochais. Et une voie grave que je commençais à connaître me répondit : 

    Chapitre 16 : Ruptures

    - Aliénor.

    - Jay ? Mais…

    - Un jeu d’enfant pour moi…. Allie, ma jolie, il est temps pour toi de découvrir ce que voulais te dire Emma. Il est temps que tu déchiffres son carnet.

    - Mais…

    - Avec un s’il te plaît, cela passe mieux ?

    - Comment sais-tu pour le carnet ?

    - J’ai toujours été aux côtés d’Emma. Depuis le début. Déchiffre le carnet et tu sauras tout. Je te laisse cette nuit pour le faire. Demain tout changera…

    Chapitre 16 : Ruptures

     - Mais comment peux-tu…

    - Déchiffres, Allie… Emma a mis la clé du code à la fin du carnet. 

    Et sans plus de façon, il raccrocha. Je restais un moment sans bouger après cet appel, tétanisée. Et puis, je me repris. Le carnet. Je le sortis, feuilletais les pages jusqu’à la fin. Et là, je découvris la clé de déchiffrement, écrite en toute petit, parmi les fioritures de la couverture. 

    Chapitre 16 : Ruptures

    Le reste fut un jeu d’enfant. 

    « Je m’appelle Emma Bassington. J’ai actuellement 19 ans et je vais noter ici tout ce qui est m’arrivée depuis ma conception à Newborn… »

    Chapitre 16 : Ruptures


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